Ce ne sera pas si simple

— C’est vous, la médium ?

— Ah non, moi, voyez-vous, ce serait plutôt la large. J’aime les vêtements amples.

— (…)

Ciel que je suis drôle. Mais mon interlocutrice ne semble pas de cet avis.

— Sérieusement, c’est vous qui parlez aux morts ?

— Oui. Non. En fait, ce sont eux qui me parlent, moi je ne fais qu’écouter.

— Je veux parler à mon mari qui est mort.

— Il vous faudra payer l’interurbain.

— (…)

Bon, décidément, mon humour ne passe pas. Je capitule.

— Entrez donc.

C’est ainsi que débutent grand nombre de mes journées et soirées, avec quelques variations sur le même thème. On sonne à la porte, je réponds, je me retrouve à discuter avec un(e) inconnu(e) qui a besoin de mes services. À mon grand désarroi, le bouche-àoreille fait des merveilles.

J’imagine déjà votre réaction : certains vont émettre un retentissant

« pfff » (les incrédules), les autres vont chercher mon adresse dans l’annuaire (les crédules). Je dis les crédules parce que j’aime bien généraliser, et qu’une majorité de mes clients le

14 Ce ne sera pas si simple sont au plus haut point. Si je leur demandais de mettre un doigt dans une narine et un autre dans l’oreille pour établir la communication, ils le feraient. Je le sais, j’ai essayé.

Vous m’excuserez, j’admets que ça peut sembler un peu méprisant.

C’est que, voyez-vous, je fais partie des incrédules. Si vous m’aviez dit il y a cinq ans que je pourrais prédire l’avenir et que je servirais de téléphone cellulaire aux morts, je vous aurais ri au nez.

J’étais de celles qui allaient consulter une voyante juste pour pouvoir se payer sa tête et lui faire dire n’importe quoi. Il y en a d’ailleurs une à qui j’ai raconté que ma fille de huit ans (je n’ai pas d’enfants)

était très douée pour le dessin, et que mon mari (je suis célibataire) souhaitait l’inscrire à un concours international de design sur les conseils de sa mère décédée depuis dix ans. La voyante, qui ne voyait finalement pas grand-chose, m’a chaudement recommandé

d’écouter ma très sage belle-mère et d’acquiescer à la demande de mon époux, puisque ma petite allait sans aucun doute remporter le concours et devenir une très grande dessinatrice de mode. C’était dans son karma, figurez-vous, puisqu’elle était Coco Chanel dans une vie précédente. N’importe quoi.

Vous comprendrez donc que lorsque « ze » don s’est révélé à

moi, je n’y ai pas cru une seconde.

Bon, il est vrai que j’ai toujours eu des intuitions étranges, même toute petite. J’avais pris l’habitude de les passer sous silence, en partie pour éviter que les gens se moquent de moi, et en partie parce que je m’auto-trouvais bizarre. Avec le recul, je constate que c’est une bonne chose. Je n’étais pas équipée pour faire face aux conséquences.

Une fois adulte (en théorie, du moins), l’opinion d’autrui est devenue moins importante pour moi, et j’ai entrepris de faire part de mes intuitions à mes proches, davantage pour les amuser qu’autre chose. Le jour où j’ai eu une vision nette dans laquelle un ami était victime d’un accident grave, et que l’accident s’est vraiment produit, j’ai commencé à avoir peur.