Extraits

Avant-propos

Marcellin s’était promis, en revenant dans ce pays auquel il rêvait tant, de tenir la plume tous les jours pour ne rien perdre de l’histoire des siens. Mais cette plume, il l’aura tenue d’abord et avant tout pour écrire des actes de concession, des obligations, des quittances, des contrats de mariage, des donations, des marchés et des inventaires de biens. Son titre de notaire lui a collé à la peau, lui volant tout son temps.

L’âge lui courbant le dos et n’ayant plus d’autre souci que celui de se bien présenter devant Dieu, Marcellin comptait reprendre la plume pour arracher au temps et à l’oubli l’histoire de son bonheur. Il voulait raconter comment, en ce monde de misères, il avait vécu la plus belle vie que pouvait souhaiter l’humble serviteur qu’il était, mais la maladie lui a tordu les mains de telle sorte qu’il ne pouvait plus écrire et Dieu est venu le chercher avant que son projet soit mené à terme.

Jugez de l’émotion de Marcellin et Radegonde quand, après cinq ans et demi d’exil, leur apparurent le fort et les maisons de Québec, cet endroit incomparable jamais oublié, ce pays de leurs rêves. Ils savaient qu’ils ne demeureraient que peu de temps à Québec, puisqu’ils voulaient s’établir le long du Richelieu. Mais on leur apprit promptement qu’à l’endroit où ils espéraient acheter une seigneurie, pas une seule n’était à vendre. Aussi leur déception fut-elle vive. Contre mauvaise fortune, ils firent bon cœur, mais ça ne les avançait guère.