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Nous avons accouché sous un chêne, l'été, par quarante-cinq degrés. Nous avons accouché près d'un poêle à bois dans la pièce unique de notre cabane par la plus froide nuit de l'année. Nous avons accouché sur des îles venteuses du Delta, six mois après notre arrivée, nos bébés étaient minuscules, translucides, et ils sont morts au bout de trois jours. Nous avons accouché neuf mois après avoir débarqué, de bébés parfaits, à la tête couverte de cheveux noirs.
Afficher en entierC'est là, nous avaient dit nos maris, que vivaient les gens. Et nous comprenions que jamais nous n'aurions dû partir de chez nous. Mais nous avions beau appeler notre mère de toutes nos forces, nous savions qu'elle ne pouvait nous entendre, aussi essayions-nous de tirer le meilleur parti de ce que nous avions. Nous découpions dans les magazines des photos de gâteaux que nous accrochions aux murs. Nous cousions des rideaux confectionnés à partir de sacs de riz blanchis. Nous fabriquions des autels boudhistes avec des cageots à tomates renversés recouverts d'un tissu, et chaque matin nous laissions une tasse de thé fumante pour nos ancêtres. A la fin des moissons, nous faisions seize kilomètres à pied pour aller en ville nous offrir un petit cadeau : une bouteille de Coca-Cola, un nouveau tablier, un tube de rouge à lèvres, en espérant avois l'occasion de l'essayer un jour. "Peut-être que l'on m'invitera à un concert." Certaines années les récoltes étaient bonnes et les prix élevés, alors nous avions plus d'argent que nous n'en avions espéré. "Deux cent cinquante à l'hectare." D'autres années, nous perdions tout à cause des insectes, d'un champignon, d'un mois de pluies torrentielles, ou parce que le cours de la tomate s'effondrait et que nous étions contraints de vendre nos outils pour rembourser nos dettes, alors nous nous demandions ce que nous faisions là. "Je suis folle de t'avoir suivie à la campagne", disions-nous à nos maris. Ou bien : "Tu gâches ma jeunesse." Mais lorsqu'ils nous demandaient si nous préférerions travailler comme bonne en ville, à sourire, faire des courbettes sans jamais répondre autre chose que : "Oui, madame, oui, madame", toute la journée, nous devions bien admettre que la réponse était non.
Afficher en entierTu verras: les femmes sont faibles, mais les mères sont fortes.
Afficher en entierIls disaient que notre petite taille était idéale pour les travaux nécessitant de se courber jusqu'à terre.
Afficher en entierSur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n'étions pas très grandes. Certaines d'entre nous n'avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n'avaient que quatorze ans et c'étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements, mais la plupart d'entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions toujours porté -hérité de nos soeurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint. Certaines descendaient des montagnes et n'avaient jamais vu la mer, sauf en image, certaines étaient filles de pêcheur et elles avaient toujours vécu sur le rivage. (p.11)
Afficher en entierBeaucoup d'entre nous reprenaient les mêmes chants des moissons que dans leur enfance, essayant d'imaginer qu'elles étaient de retour chez elles au Japon. Car si nos maris nous avaient dit la vérité dans leurs lettres - qu'ils n'étaient pas négociants en soieries mais cueillaient des fruits, qu'ils ne vivaient pas dans de vastes demeures aux pièces nombreuses mais dans des tentes, des granges, voire des champs, à la belle étoile - jamais nous ne serions venues en Amérique accomplir une besogne qu'aucun Américain qui se respecte n'eût acceptée.
Afficher en entierNous dépensions jusqu'à notre dernier penny pour les emmener chez le médecin quand ils avaient la fièvre, alors que nous soignions nous-mêmes nos filles à la maison. J'applique un cataplasme à la moutarde sur sa poitrine et j'adresse une prière au dieu du vent et des mauvais rhumes. Car nous savions que nos filles nous quitteraient à l'instant où elles se marieraient, alors que nos fils s'occuperaient de nous quand nous serions vieilles.
Afficher en entierNous avons eu des bébés si beaux que nous ne parvenions pas à croire qu'ils étaient de nous. Des bébé qui étaient citoyens américains, et au nom desquels nous pouvions enfin signer un bail pour exploiter la terre.
Afficher en entierAttends-toi au pire, mais ne t'étonnes pas qu'ils soient gentils à l'occasion. La bonté est partout.
Afficher en entierTu verras : les femmes sont faibles, mais les mères sont fortes.
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