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Saisie d'une brusque frénésie, elle commença à tout remuer dans la cuisine, soulevant et secouant les sets de table, déplaçant le grille-pain, regardant sous les chaises, scrutant l'espace entre la cusinière et le mur, le visage inondé de larmes.
- Que se passe-t-il, mon petit ? demanda l'inspecteur. Qu'est-ce que tu fais ?
- Le mot ? Où est le mot ? répondit Cynthia, le regard implorant. Il doit y avoir un mot. Maman ne part jamais sans laisser de petit mot.
Afficher en entier– J’ai besoin de lui parler.
D’ailleurs, lui parler de quoi, précisément ? Y avais-je seulement réfléchi ? Je pourrais commencer par : « Vous avez vu ma femme ? Vous vous souvenez d’elle ? Vous la connaissiez sous son nom de jeune fille, Cynthia Bigge. Vous êtes sorti avec elle la nuit où sa famille a disparu. »
Et une fois la glace rompue, je pourrais tenter un truc comme : « À propos, vous avez peut-être quelque chose à voir dans cette histoire ? Vous n’auriez pas, par hasard, collé sa mère et son frère dans une voiture avant de les précipiter au fond d’une carrière abandonnée ? »
Afficher en entierComme si elle pensait que les gens qui gisaient au fond de ce puits de carrière étaient toujours vivants, comme s’il leur restait encore un peu de souffle.
J’entendis une voiture s’arrêter devant la maison, et vis par la fenêtre la courte et massive silhouette de Rona Wedmore remonter l’allée à toute allure. On aurait dit qu’elle allait traverser la porte sans même s’arrêter.
Afficher en entierPour la première fois depuis un bout de temps, j’avais envie de rire, mais je réussis à me retenir.
Comme d’habitude, je partis le premier. Cynthia ne me dit pas au revoir et ne m’accompagna pas à la porte. Elle n’avait pas oublié notre dispute avant la fausse alerte de Grace. Juste au moment où nous avions besoin de nous serrer les coudes, un fossé invisible se creusait entre nous. Elle persistait à me soupçonner de lui cacher des choses. Et j’éprouvais à son égard un malaise que je m’expliquais mal moi-même.
Afficher en entierNous avons commencé à nous fréquenter. Nous allions au cinéma, travaillions ensemble à la bibliothèque. Elle essaya de m’intéresser au tennis. Je n’avais jamais vraiment mis les pieds sur un court, mais je fis de mon mieux. Cynthia était la première à reconnaître ne pas être une grande joueuse, elle s’estimait juste correcte, mais elle était dotée d’un revers magistral. C’était un avantage plus que suffisant pour me battre à plate couture. Lorsque je servais et voyais ensuite son bras droit voler pardessus son épaule gauche, je savais que mes chances de lui retourner la balle au-delà du filet étaient minces. Même quand je la voyais arriver.
Afficher en entierLes yeux de Grace suppliaient, mais son ton était grave.
– Papa… j’ai… huit… ans.
Où donc avait-elle appris à parler de cette manière, cette façon de détacher chaque mot pour s’assurer de leur effet dramatique ? Comme si la question se posait. Ce n’était pas les situations dramatiques qui manquaient dans cette maison.
– Oui, répondis-je à ma fille. Je suis au courant.
Les Cheerios ramollissaient dans son bol, et elle n’avait pas touché son verre de jus d’orange.
– Les autres se moquent de moi, poursuivit-elle.
Afficher en entierJe perçus l’excitation parmi l’équipe. Chacun retenait son souffle. Je savais ce que tout le monde pensait. Qu’ils venaient de décrocher le gros lot. L’émission allait faire un carton. Je les haïssais de profiter du malheur de Cynthia, d’exploiter sa souffrance, de la transformer en spectacle télévisuel. Parce qu’il s’agissait de cela, en fin de compte. C’était du spectacle qu’ils voulaient. Mais je la bouclai, parce que je savais que Cynthia comprenait sans doute aussi qu’ils profitaient d’elle, qu’elle n’était pour eux qu’une histoire de plus qui leur permettait de remplir une demi-heure d’antenne. Et elle consentait à être utilisée, si cela permettait que quelqu’un la voie à la télévision et se présente devant elle avec la clef de son passé.
Afficher en entierJe suivis deux cameramen à l’intérieur, puis me mis à l’écart tandis qu’ils étudiaient différents emplacements de caméra pour filmer le visage de Cynthia, sur lequel l’appréhension se mêlait à une impression de déjà-vu. Je supposais qu’au moment de la diffusion, on aurait droit à un montage serré de plans très courts, peut-être qu’ils filtreraient l’image pour la rendre granuleuse, piochant dans leur sacoche à trucages de quoi ajouter de l’intensité à un événement que les réalisateurs de télévision des décennies précédentes auraient trouvé suffisamment dramatique en soi.
Afficher en entierCynthia se tenait immobile devant la maison de Hickory Street. Ce n’était pourtant pas la première fois en vingt-cinq ans qu’elle revoyait le domicile de son enfance. Elle vivait toujours à Milford, et il lui arrivait de passer dans le coin en voiture. Elle m’avait montré la maison un jour, avant notre mariage, lors d’un détour rapide.
« C’est là », avait-elle dit sans s’arrêter.
Elle s’arrêtait rarement. Et si elle le faisait, elle ne sortait pas de la voiture. Elle ne s’était donc jamais tenue sur le trottoir de cette manière.
Et cela faisait sûrement très longtemps qu’elle n’avait pas franchi cette porte d’entrée.
Afficher en entierSaisie d’une brusque frénésie, elle commença à tout remuer dans la cuisine, soulevant et secouant les sets de table, déplaçant le grille-pain, regardant sous les chaises, scrutant l’espace entre la cuisinière et le mur, le visage inondé de larmes.
– Que se passe-t-il, mon petit ? demanda l’inspecteur. Qu’est-ce que tu fais ?
– Le mot ? Où est le mot ? répondit Cynthia, le regard implorant. Il doit y avoir un mot. Maman ne part jamais sans laisser de petit mot.
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