Ajouter un extrait
Liste des extraits
« Un élève friandise. C'est ainsi que, devenu professeur, j'appelais mes excellents élèves, ces perles rares, quand j'en trouvais un dans ma classe. Je les ai beaucoup aimés, mes élèves friandises ! Ils me reposaient des autres. Et me stimulaient. Celui qui pige le plus vite, répond le plus juste, et avec humour souvent, cet œil qui s'allume, et cette discrétion dans l'aisance qui est la grâce suprême de l'intelligence... [...] Oui, j'ai toujours aimé les bons élèves.
Et je les ai plaints, aussi. Car ils ont leurs propres tourments : ne jamais décevoir l'attente des adultes, s'agacer de n'être que deuxième quand ce crétin d'Untel monopolise la première place, deviner les limites du professeur à l'approximation de ses cours, et donc s'ennuyer un peu en classe, subir la moquerie ou l'envie des nuls, être accusés de pactiser avec l'autorité, à quoi s'ajoutent, comme pour les autres, les embarras ordinaires de la croissance. »
Afficher en entierBien des années plus tard , comme je redoublais ma terminale à la poursuite d'un baccalauréat qui m'échappait obstinément, il aura cette formule:
- Ne t'inquiètes pas, même pour le bac on finit par acquérir des automatismes...
Ou en septembre 1968, ma licence de lettres enfin en poche:
- Il t'aura fallu une révolution pour la licence, doit-on craindre une guerre mondiale pour l'agrégation?
Afficher en entierSi c’est une légende, je l’aime. Je ne crois pas qu’on puisse concevoir autrement le métier de professeur. Tout le mal qu’on dit de l’école nous cache le nombre d’enfants qu’elle a sauvés des tares, des préjugés, de la morgue, de l’ignorance, de la bêtise, de la cupidité, de l’immobilité ou du fatalisme des familles
Afficher en entier- Si vous saviez comme ça m'emmerde, monsieur !
Que faut-il faire d'un pareil élève ? L'abattre sur place ? Dans l'expectative, et bien que ce ne soit pas le moment, je demande:
- Et peut-on savoir ce qui t'intéresse ?
- Ça.
Répond-il en me rendant ma savonnette, qu'il m'a fauchée sans que je m'en aperçoive.
- Et ça, ajoute-t-il en me rendant mon stylo.
-Pickpocket ? Tu veux devenir pickpocket ?
-Prestidigitateur, monsieur.
Ce qu'il devint, ma foi, qu'il est encore, et renommé, sans que j'y sois pour rien.
Afficher en entierNos « mauvais élèves » (élèves réputés sans devenir) ne viennent jamais seuls à l'école. C'est un oignon qui entre dans la classe: quelques couches de chagrin, de peur, d'inquiétude, de rancoeur, de colère, d'envies inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé honteux de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les voilà qui arrivent, leur corps en devenir et leur famille dans leur sac à dos. Le cours ne peut vraiment commencer qu'une fois le fardeau posé à terre et l'oignon épluché.
Afficher en entier...rien ne se passe comme prévu, c'est la seule chose que nous apprend le futur en devenant du passé.
Afficher en entierUn après midi de l'année du bac (une des années du bac) mon père me donnant un cours de trigonométrie dans la pièce qui nous servait de bibliothèque, notre chien se coucha en douce sur le lit, derriere nous. Repéré, il fut sèchement viré :
- Dehors, le chien, dans ton fauteuil !
Cinq minutes plus tard, le chien était de nouveau sur le lit. Il avait juste pris soin d'aller chercher la vieille couverture qui protégeait son fauteuil et de se coucher sur elle. Admiration générale, bien sûr, et justifiée : qu'un animal pût associer une interdiction à l'idée abstraite de propreté et en tirer la conclusion qu'il fallait faire son lit pour jouir de la compagnie des maitres, chapeau, evidemment, un authentique raisonnement ! Ce fut un sujet de conversation familiale qui traversa les âges. Personnellement, j'en tirai l'enseignement que même le chien de la maison pigeait plus vite que moi. Je crois bien lui avoir murmuré à l'oreille :
- Demain, c'est toi qui va au bahut, lèche-cul.
Afficher en entierOu ce professeur de sciences naturelles, en terminale, à qui je dois mon exclusion du lycée. Se plaignant de ce que la moyenne générale de "cette classe" n'éxcédât pas les 3,5/20, il avait commis l'imprudence de nous en demander la raison. Front haussé, menton tendu, commissures tombantes :
- Alors quelqu'un peut-il expliquer cette... prouesse ?
J'ai levé un index poli et suggéré deux explications possibles : ou notre classe constituait une monstruosité statistique (32 élèves qui ne pouvaient dépasser une moyenne de 3,5 en sciences naturelles), ou ce résultat famélique sanctionnait la qualité de l'enseignement dispensé.
Content de moi, je suppose.
Et fichu à la porte
- Héroïque mais inutile, me fit observer un copain : sais-tu la différence entre un professeur et un outil ? Non ? Le mauvais prof n'est pas réparable.
Viré, donc.
Fureur de mon père, bien sûr.
Sales souvenirs, ces années de rancœur ordinaire !
Afficher en entier
La naissance de la délinquance, c'est l'investissement secret de toutes les facultés de l'intelligence dans la ruse.
Afficher en entierEt ce n'est pas rien, une année de scolarité fichue : c'est l'éternité dans un bocal.
Afficher en entier