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Une partie de mon métier consistait à persuader mes élèves les plus abandonnés par eux-mêmes que la courtoisie mieux que la baffe prédispose à la réflexion, que la vie en communauté engage, que le jour et l'heure de la remise d'un devoir bâclé est à refaire pour le lendemain, que ceci, que cela, mais jamais, au grand jamais, ni mes collègues ni moi ne les abandonnerions au milieu du gué.
Afficher en entierA y regarder de près, Maximilien est l'envers de la médaille du jeunisme. Notre époque s'est fait un devoir de jeunesse : il faut être jeune, penser jeune, consommer jeune, vieillir jeune, la mode est jeune, le foot est jeune, les radios sont jeunes, les magazines sont jeunes, la pub est jeune, la télé est pleine de jeunes, internet est jeune, les people sont jeunes, les derniers baby boomers vivants ont su rester jeunes, nos hommes politiques eux-mêmes ont fini par rajeunir. Vive la jeunesse ! Gloire à la jeunesse ! Il faut être jeune !
A condition de n'être pas Maximilien.
Afficher en entierMais c'est cela, enseigner : c'est recommencer jusqu'à notre nécessaire disparition de professeur.
Afficher en entierChaque élève joue de son instrument, ce n'est pas la peine d'aller contre. Le délicat, c'est de bien connaître nos musiciens et de trouver l'harmonie. Une bonne classe, ce n'est pas un régiment qui marche au pas, c'est un orchestre qui travaille la même symphonie. Et si vous avez hérité du petit triangle qui ne sait faire que ting ting, ou de la guimbarde qui ne fait que bloïng, bloïng, le tout est qu'ils le fassent au bon moment, le mieux possible, qu'ils deviennent un excellent triangle, une irréprochable guimbarde, et qu'ils soient fiers de la qualité que leur contribution confère à l'ensemble. Comme le goût de l'harmonie les fait tous progresser, le petit triangle finira lui aussi par connaître la musique, peut-être pas aussi brillament que le premier violon, mais il connaîtra la même musique.
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Seulement à ne s’envisager aucun futur, on ne s’installe pas non plus dans le présent. On est assis sur sa chaise mais ailleurs, prisonnier des limbes de la déploration, un temps qui ne passe pas, une sorte de perpétuité, un sentiment de torture qu’on ferait payer à n’importe qui, et au prix fort.
Afficher en entier"Monsieur, j'ai consacré hier deux heures à ne pas faire votre devoir. Non, non, je n'ai pas fait autre chose, je me suis assis à la table de travail, j'ai sorti mon cahier de texte, j'ai lu l'énoncé et, pendant deux heures, je me suis retrouvé dans un état de sidération mathématique, une paralysie mentale dont je ne suis sorti qu'en entendant ma mère m'appeler pour passer à table. Vous le voyez, je n'ai pas fait votre devoir, mais j'y ai bel et bien consacré ces deux heures. Après le dîner il était trop tard, une nouvelle séance de catalepsie m'attendait : mon exercice d'anglais."
Afficher en entierVotre fils, chère madame, n'en finira jamais d'être un enfant de la langue, et vous-même un tout petit bébé, et moi un marmot ridicule, et tous autant que nous sommes menu fretin charrié par le grand fleuve jailli de la source orale des Lettres, et votre fils aimera savoir en quelle langue il nage, ce qui le porte, le désaltère et le nourrit, et se faire lui-même porteur de cette beauté, et avec quelle fierté !, il va adorer ça, faites lui confiance, le goût de ces mots dans sa bouche, les fusées éclairantes de ces pensées dans sa tête, et découvrir les capacités prodigieuses de sa mémoire, son infinie souplesse, cette caisse de résonance, ce volume inouï où faire chanter les plus belles phrases, sonner les idées les plus claires, il va en raffoler de cette natation sublinguistique lorsqu'il aura découvert la grotte insatiable de sa mémoire, il adorera plonger dans la langue, y pêcher les textes en profondeur, et tout au long de sa vie les savoir là, constitutifs de son être, pouvoir se les réciter à l'improviste, se les dire à lui-même pour la saveur des mots.
Afficher en entierSi outre celui des maîtres célèbres, cette anthologie proposait le portrait de l'inoubliable professeur que nous avons presque tous rencontré au moins une fois dans notre scolarité, nous en tirerions peut-être quelques lumières sur les qualités nécessaires à la pratique de cet étrange métier.
Afficher en entierCe sont des mots dangereux, les pronoms compléments, des mines antipersonnelles enfouies sous le sens apparent et qui vous sautent au visage si on ne les désamorce pas.
Afficher en entierJe sais tout sur l'art de faire semblant d'écrire en préparant une copie blanche.
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