Changeons d'agriculture, Réussir la transition

Le productivisme: un contresens historique

Nous l'avons vu, l'agriculture conventionnelle recherche depuis toujours l'augmentation de la productivité, c'est-à-dire de la production par travailleur. Grâce à l'usage de la chimie et à la surmécanisation, elle est parvenue à réduire le nombre d'actifs agricoles en France de 6.2 millions en 1955 à 1.4 millions en 1986, puis 690000 en 2010. Pourtant, dans les premières décennies de la période, la production agricole française brute a sensiblement augmenté. Il n'y a donc aucune contestation possible ; la productivité de l'agriculture française a nettement augmenté depuis soixante ans, et il en est de même à l'échelle de l'Europe.

A condition d'ignorer ses dégâts environnementaux déjà considérables, cette tendance pouvait être qualifiée de "progrès" dans les années 1960, dans la mesure où l'économie tertiaire manquait de main d'œuvre et où tous les bras libérés trouvaient sans problème à s'employer ailleurs. Mais cette caractéristique, qui est consubstantielle à l'agriculture conventionnelle, devient aujourd'hui une aberration. La poursuivre dans le contexte contemporain est un contresens historique.

En Europe, augmenter ou même maintenir la productivité signifie aujourd'hui augmenter ou maintenir le chômage. De plus, cette tendance conduit à augmenter la taille des fermes, qui ne peuvent être mises en valeur qu'à la condition pour l'agriculteur de travailler de plus en plus vite, donc d'acheter sans cesse des tracteurs plus puissants et des outils plus larges, d'élever de plus en plus d'animaux sans avoir le temps de les soigner attentivement, ce qui l'oblige à multiplier les traitements vétérinaires massifs, de spécialiser ses productions, etc. L'augmentation de la taille des fermes aboutit par ailleurs à une surcapitalisation de l'agriculture, c'est-à-dire qu'aucun individu ne peut débourser le capital financier nécessaire à leur rachat. <...>