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Un peu étourdi, ayant envie de se reposer mais se sachant toujours en danger, Travis suivit le regard du chien et scruta le sous-bois, dans la mesure du possible. Si leur attaquant les poursuivait toujours, il se montrait plus prudent et avançait sans faire bouger les branchages. Le retriever gémit et tira la jambe de pantalon de Travis. Il se précipita le long de la crête étroite jusqu'à une déclivité qui conduisait à un autre canyon. Apparemment, le chien ne se sentait toujours pas en sécurité et estimait qu'ils devaient continuer à s'éloigner. Travis partageait le même avis. Sa crainte atavique, et la confiance en l'instinct qu'elle impliquait, le poussa à suivre le chien de l'autre côté de la crête, dans un autre canyon boisé.
Afficher en entierPendant une seconde ou deux, il se sentit soulagé, pensant que la bête s'enfuyait. Il comprit vite qu'elle ne s'en allait pas mais se dirigeait le long d'une courbe nord-nord-ouest qui la ramènerait vers la piste des cerfs au-dessus d'eux. Elle essayait de leur couper la retraite et de les forcer à sortir du canyon par le chemin du bas, où ses victimes seraient plus vulnérables. Travis ne savait pas comment il en était si sûr, il le savait, tout simplement. Son instinct de survie lui dicta ses gestes sans même qu'il prenne le temps d'y réfléchir. Immédiatement, il fit ce qu'il y avait à faire. Il n'avait pas ressenti cette pulsion animale depuis qu'il avait quitté l'armée, dix ans auparavant.
Afficher en entierIl s'attendait à ce qu'une bête furieuse lui saute à la gorge. Le retriever fit demi-tour et sauta par-dessus Travis pour atterrir d'un pied sûr de l'autre côté du chemin. Il aboya furieusement contre le poursuivant, d'une voix plus menaçante que lorsqu'il avait défié Travis dans la clairière. Travis roula par-dessus la souche et s'assit. Il ne voyait rien sur la piste. Bientôt il comprit que le retriever ne s'intéressait plus à cette partie du bois, mais qu'il faisait face aux buissons tout proches d'eux, à l'est. Bavant, il jappa d'une voix stridente et puissante à en faire exploser les oreilles. Une furie sauvage destinée à tenir l'ennemi invisible à distance.
Afficher en entierIl avait envie de voir l'animal en question mais, en même temps, la peur le transperçait, une peur sauvage et primitive. Plus haut, le golden retriever aboyait toujours. Travis se retourna et courut vers lui. Il était en excellente condition physique ; pas un kilo de trop. Les bras collés au corps, baissant la tête pour éviter les branches basses, il courut derrière le chien pantelant. Ses semelles à crampons avaient une bonne adhérence, il dérapait parfois sur une pierre ou une couche d'aiguilles de pin, mais il ne tombait pas. Tandis qu'il se précipitait ainsi dans un feu de lumière et d'ombre, un autre feu se mit à flamber dans ses poumons.
Afficher en entierTravis s'arrêta aux sycomores. Les sourcils froncés dans la clairière inondée de soleil, il regarda le trou noir dans la forêt. Quel animal s'approchait ? Soudain, les cigales se turent, comme si on avait brusquement soulevé l'aiguille d'un tourne-disque. Les bois se plongèrent dans un silence surnaturel. Travis perçut un mouvement sur la piste obscure. Un grattement. Un éboulis de pierres. Un bruissement dans les buissons arides. La chose semblait certainement plus proche qu'en réalité car le bruit était amplifié par l'écho qui s'engouffrait dans l'étroit tunnel formé par les arbres. Peu importe, elle approchait, vite, très vite.
Afficher en entierLe retriever grogna, pas contre Travis cette fois, mais contre ce qui avait attiré son attention. C'était un grognement sourd, à peine audible : le chien semblait à la fois furieux et terrifié. Des coyotes ? Ils pullulaient dans les collines. Une horde affamée pouvait bien effrayer un retriever, même aussi robuste que celui-ci. Avec un jappement inquiet, le chien fit demi-tour et se précipita vers Travis, le dépassa pour aller de l'autre côté de la clairière. Travis s'attendait à le voir disparaître dans le bois. Mais, sous l'arche formée par les deux sycomores, le chien s'arrêta et se retourna, comme s'il attendait. Visiblement impatient et tourmenté, il revint vers Travis, tourna rapidement autour de lui et saisit de nouveau la toile de jean pour l'entraîner avec lui.
Afficher en entierDe nouveau, le chien se mit à grogner, assez doucement, mais d'un air menaçant. Encore une fois, les dents se découvrirent. Pas après pas, le courage de Travis s'évanouissait et, arrivé à un mètre du chien, il opta pour une tactique différente. Il s'arrêta, secoua la tête et se mit à gronder gentiment l'animal. — Vilain ! Tu n'es pas gentil du tout. Quelle mouche t'a piqué ? Hein ? Réponds ! Pourtant, tu n'as pas l'air méchant, bien au contraire. En entendant ces paroles affectueuses, le retriever cessa de grogner. Timidement, il remua même la queue, une fois, puis deux fois. — Voilà, ça c'est un bon chien. On va devenir copains tous les deux, hein ? Le chien émit un gémissement conciliant, son familier et agréable de celui qui veut se faire aimer. — Bon, nous arriverons peut-être à nous entendre, dit Travis en s'approchant du retriever pour le caresser.
Afficher en entierIl avança de nouveau, mais le chien le mordit plus fermement que la première fois et, tirant sur le pantalon, le ramena vers la clairière. Travis recula maladroitement de quelques pas sur le tapis glissant d'aiguilles de pin, trébucha et tomba sur les fesses. Dès que Travis fut à terre, le chien se détourna. Il traversa la clairière et, par-dessus la crête, observa le noir en contrebas. Ses oreilles tombantes s'étaient redressées, autant que le peuvent les oreilles d'un retriever.
Afficher en entierSi crasseux fût-il, l'animal n'en était pas moins sympathique. Travis lui caressa la tête et le gratta derrière les oreilles. Il s'attendait à voir le propriétaire, pantelant, probablement furieux, surgir du buisson a la poursuite du fuyard. Personne ne vint. Il chercha un collier ou un tatouage, mais ne trouva rien. — Tu ne m'as pas l'air d'un chien errant, pourtant ? Le chien s'ébroua de plaisir. — Non, bien trop amical pour un chien errant. Tu es perdu ? Il lui lécha la main. Travis remarqua qu'il avait des traces de sang séché derrière l'oreille droite. Du sang plus frais apparaissait sur les pattes avant, comme si l'animal avait couru longtemps sur un chemin accidenté et que les coussinets s'étaient déchirés.
Afficher en entierUn instant plus tard, Travis ouvrit le paquet d'Oreo, les biscuits favoris de son enfance. Cela faisait quinze ans qu'il n'en avait pas mangé. Ils étaient presque aussi bons que dans son souvenir. Le soda à l'orange ne lui apporta pas le même plaisir. La boisson était trop sucrée pour son palais d'adulte. Laissant le serpent à son soleil, il reprit son sac et se dirigea vers la pente sud, à l'ombre des arbres de l'entrée du canyon, où l'air était rafraîchi par les senteurs des jeunes pousses de conifères. Mélancolique, dans le vallon ouest, il suivit une piste de cerfs.
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