Extraits

— Vous pensez au dragon, Mahäti ?

Jal avait fixé le pas de son alezan sur celui de Wolke. Il était sur ses gardes, mais contrairement à Schwarz et Chandra, son corps était calme et sa posture détendue.

— Non, chasseur, je pensais à mes apprentis. Ils sont jeunes et je crains ce que je risque de retrouver à mon retour.

Surtout si Thorsten décidait de se divertir aux dépens des dames de la Cour ou du père Traugott.

— Ils sauront se montrer dignes de leur maître parti donner le repos éternel au dragon.

— Je l’espère.

Le chasseur n’avait pas l’air bien plus vieux que Chandra, mais il avait déjà adopté tous les comportements d’un homme et les responsabilités aussi au vu de ce qu’il avait dit de son familier.

— Le chevalier et vous chevauchez depuis peu ?

— Nous ne sommes partis de Güstrow que depuis trois jours.

— En tout cas, on ne peut nier que c’est un homme des plus attirants.

— Je suis un meurtrier, un débauché, que te faut-il de plus, ermite ? cria-t-il, d’une voix presque désespérée.

Mais le vieil homme était calme et s’était planté devant lui.

— As-tu donc vendu le Christ notre Seigneur pour trente deniers ? Car même à lui, il a pardonné, comment ne te pardonnerait-il pas ?

Il le fixait de ses yeux nuageux, vitreux, presque aveugles, et il avait l’impression qu’il pouvait lire dans son âme.

— C’est…

— Différent ? Pourquoi le serait-ce ? Notre Seigneur est mort pour nous sauver tous, et dans son infinie bonté, il juge, pardonne et aime tous ses enfants.

L’homme était dangereux. Non seulement c’était un sorcier, et il avait suffi qu’il en croise un pour que toute sa vie se retrouve soudainement en morceaux, mais en plus il y avait en lui cette étincelle, ce quelque chose qui allumait ses sens et lui donnait envie de se jeter sur lui pour le déchiqueter et le dévorer.

Il obéirait au Roi puisqu’il n’avait pas d’autre choix, mais il resterait le plus loin possible du sorcier.

— Je sais ce que je désire et je sais aussi que tu ne veux que meurtrir Jal. Je ne suis pas un enfant que ses sentiments et désirs rendent confus, et j’ai bien d’autres choses à faire et à considérer que tes petits jeux

— Ne pourrais-je moi aussi attirer tes regards de cette façon ? Je suis jeune, mais vigoureux, et mes mains n’ont pas la douceur des femmes, mais bien la dureté et les cals des hommes.

Même sans magie la voix de l’Égyptien était ensorcelante, veloutée, grave, caressante, elle dansait contre son oreille et provoquait des frissons depuis longtemps oubliés.

— Je sais donner et prendre du plaisir et, contrairement à lui, je ne crains pas ce que je désire.

— Tu m’intrigues, mahäti Ciarán. Es-tu donc aussi froid et insensible que le marbre que tu imites ? Tu es si parfaitement détaché et pourtant il y a quelque chose entre le chevalier et toi, tes yeux le suivent sans cesse…

— Je te tiens.

Les yeux de Schwarz étaient voilés par la fièvre et le désir et semblaient noirs dans la pénombre de la pièce, mais son visage était étrangement souriant et détendu.

— Cette fois, tu ne m’échapperas pas

Le chevalier le regardait une nouvelle fois. Et son visage était proche du sien, assez pour le toucher, assez pour pouvoir baiser son front avec tendresse et y laisser ses lèvres, assez pour respirer cette odeur enivrante de musc et de métal qui était la sienne. Il baissa la tête et embrassa son front perlé de sueur que la fièvre échauffait. Des mains brûlantes se posèrent sur ses joues et son regard plongea dans celui de son amant. Il ne savait qu’y lire, le désir se disputait à la fièvre, la tendresse à la luxure, mais il était empli d’une faim dévorante.

Le blond chevalier se rallongea, le fixant toujours du regard, et il se sentit étrangement exposé, comme transpercé par ces yeux de ciel nocturne.

- Va t'expliquer avec Jal, mais quoi qu'il arrive, je refuse de te voir près du camp avant qu'il ne soit endormi.

- Tu as peur qu'il ne dévore un autre que toi ?