Extraits

Où allions-nous ? Je scrutai le sol à la recherche de repères familiers. J'aperçus la maison de mes parents, le lycée, et même la vieille église avec sa fenêtre ronde qui me faisait l'impression d'un gros œil sévère quand j'étais petite, mais je ne réussis pas à deviner notre destination.

Quelques instants plus tard, je remarquai une rangée de sapins, encerclant une clairière. Notre clairière. Pourquoi Raf nous emmenait-il là-bas ? Savait-il que c'était notre jardin secret ?

Nous nous dirigeâmes prudemment vers le sol. Raf attendit que nous soyons tous les trois au centre de la clairière pour rompre le silence.

— Vous connaissez bien cet endroit, n'est-ce pas ?

— Oui, répondis-je. Michael et moi avions l'habitude de venir ici quand j'apprenais à voler. C'est lui qui l'a découverte.

Je ne pouvais pas m'empêcher d'observer les autres avec curiosité, un peu comme si j'étais au zoo. Ils n'avaient aucune idée de la bataille qui allait avoir lieu, tout comme ils ignoraient que j'avais été choisie pour jouer un rôle de premier plan quand surviendrait la fin des temps, et que j'étais peut-être la seule et unique personne au monde à pouvoir l'empêcher. Ils ne pouvaient tout simplement pas imaginer à quel point leurs préoccupations d'adolescents me semblaient futiles.

Nous savons qui nous sommes, les Néphilims, moitié humains, moitié anges, destinés à jouer un rôle déterminant dans la fin du monde. S'il te plaît, souviens-toi de ce que nos parents ont dit.

L'ignorance est la seule chose qui nous a préservés jusqu'ici. Le fait d'ignorer qui nous sommes nous a protégés, toi, moi, et tous les autres, de la mise en marche de la fin des temps. Et si Ézékiel a dit vrai, cette ignorance est la seule chose qui a empêché nos parents de devenir de simples pions sur l'échiquier d'un jeu mortel. Nos parents ont essayé en vain de recréer artificiellement cette ignorance en utilisant les pouvoirs d'autres anges déchus.

Nous devons donc faire semblant d'avoir oublié. Nous devons nous comporter comme deux lycéens ordinaires, Ellspeth Faneuil et Michel Chase, quand nous sommes en présence de nos camarades et de nos amis, de nos professeurs et de nos entraîneurs, et en particulier de nos parents. Et afin de ne pas mettre la puce à l'oreille aux anges déchus en utilisant nos pouvoirs, nous devons nous abstenir de voler, de lire dans les pensées ou d'utiliser le pouvoir du sang. Nous ne pouvons pas risquer de déclencher la fin des temps.

Michael et moi étions censés oublier complètement qui nous étions et ce à quoi nous étions destinés. Car dès l'instant où nous aurions pris pleinement conscience de notre nature de Néphilims, le compte à rebours de la fin des temps se déclencherait et les anges déchus seraient alors irrésistiblement attirés vers nous et nous prendraient pour cible. C'était pour éviter qu'une telle chose se produise que nos parents nous avaient protégés depuis le jour de notre naissance en nous cachant notre véritable identité. Et lorsque nous avions commencé à prendre conscience de nos dons, ils ont essayé d'effacer notre mémoire en faisant appel aux pouvoirs d'une de leurs célestes amies.

Anxieuse à l'idée de ce que cette journée allait m'apporter, je redescendis à la cuisine.

— Je suis prête, maman.

— Mais c'est Michael qui passe te prendre aujourd'hui, Ellie, Ne me dis pas que tu as oublié ?

— Tu veux dire que je ne suis plus privée de sortie ?

— Non, princesse. La punition a été levée ce weekend. Tu es sûre que tout va bien ?

— Oui, maman, absolument sûre, la rassurai-je avant de sortir.

Je montai prendre mes affaires dans ma chambre et filai dans la salle de bains. Je fis une pause devant le miroir : yeux bleu pâle, longs cheveux noirs. Même si je ne me sentais plus tout à fait la même, extérieurement j'étais toujours Ellie, une lycéenne comme les autres, qui adorait lire et voyager, dont la meilleure amie s'appelait Ruth, et le nouveau petit copain Michael. Le seul problème, c'est que je n'étais pas certaine de pouvoir continuer de me comporter normalement maintenant que je savais.

Comme je sortais dans le couloir, une photo calée dans l'angle du miroir attira mon regard. Je m'approchai et réalisai que c'était une photo de moi et Michael au bal de promo. Ouf, songeai-je, soulagée. J'avais sous les yeux la preuve que notre relation n'était pas une chimère.

Mais à peine avais-je posé la main sur la rampe de l'escalier, que le doute m'assaillit à nouveau. Quelque chose me disait que cette journée ne serait pas comme les autres. Jamais plus il n'y aurait de journées comme les autres.

Très vite, le soleil commença à monter dans le ciel, nous révélant les détails les plus infimes du paysage, comme les minuscules touffes de bruyère accrochées au flanc de la falaise. Je connaissais cet endroit. Nous étions à Ransom Beach. Tout à coup le monde paraissait plus lumineux, plus clair, plus parfait.

Le moment que nous attendions était arrivé. Je me tournai vers Michael et vis que ses yeux brillaient d'une joie intense.

Michael et moi nous tenions par la main. Le monde autour de nous était plongé dans l'obscurité. Aucune lumière, astrale ou autre, n'illuminait le ciel. Nous étions seuls, seuls dans le noir. Je savais que nous étions sur une plage, à cause du crissement du sable sous nos pieds et du bruit des vagues.

L'excitation rendait l'air pesant, et je percevais une tension dans la main de Michael. Je savais que nous attendions quelque chose.

Mais quoi ?

- Alors tu es l'un deux?

Au fond de moi je priais le ciel pour que Raf ne fût pas un ange déchu mais juste un de ces types qui s'amusent à suivre les filles dans la rue.

- Que veux-tu dire? demanda-t-il en se rapprochant lentement.

- Un des déchus, répondis-je en continuant de reculer.

- Je ne suis pas un déchu, Ellspeth.

Sans raison apparente, Raf arrêta de marcher. Son corps se mit à trembler imperceptiblement. Je fus tellement surprise que je me figeai sur place. Que pouvait-il bien être en train de faire?