Extraits

« - Pourquoi tu ne dis pas ce que tu penses, pour une fois ? hurla-t-il. Pourquoi ne te mets-tu pas en colère, pourquoi tu ne cries pas ? Fais quelque chose, nom d'un chien ! Dis moi que tu ne veux pas que je m'en aille ! Prouve moi que tu es encore une personne, et pas juste une épée ! »

"-J'ai fait une promesse..., commença-t-il.

-Ne parles pas, je m'occupe de toi, l'interrompit Nihal en pressant un doigt sur ses lèvres.

-...pendant que j'étais dans le ventre de la mère, j'ai fait une promesse...

Nihal observait la lance, réfléchissant au moyen de l'extraire de la jambe de Sennar sans lui faire trop mal. A peine l'effleura-t-elle que le magicien poussa un hurlement.

-...J'ai promis de t'aimer...

Nhal se pencha sur lui.

-Parce que je t'ai toujours aimé, et toi, tu ne le sais pas...

-Ne dis pas ça...

-Je t'aime depuis le jour où je t'ai pris le poignard sur la terrasse de Salazar, et maintenant je vais mourir...

"-Comme je te comprends! Moi aussi, je veux être libre et voler d'aventure en aventure! dit Nihal en se levant d'un bond. Tu sais quoi? Je suis un guerrier- enfin, je vais bientôt le devenir- et je combattrai le Tyran. Je deviendrai le défenseur de tous les elfes-follets. Je m'engagerai dans l'armée rebelle, et je vous libérerai de l'esclavage. Dès lors, vous continuerez à vivre tranquillement dans les bois"

<< Aujourd'hui, le dixième jour du quatrième jour, soixantième année du temps de Nammen, est tombé entre nos mains un terrible ennemi. >>

Elle avait enfin trouvé des informations sur Mégisto !

Il était resté des années aux côtés du Tyran, qui avait fait de lui un magicien puissant. Il ne dédaignait pas l'usage de l'épée, avec laquelle il était assez habile, et avait fait de la Terre des Jours son royaume. De là, il lançait de terribles attaques sur la Terre du Soleil et, assoiffé de sang, il combattait en première ligne avec ses hommes. Certains prétendaient qu'il était immortel. Cela rappela à Nihal la description que Sennar lui avait faite de Dola, le guerrier impitoyable qui avait mis la Terre du Vent à feu et à sang.

Après avoir semé la terreur sur la Terre des Jours, Mégisto s'en était pris à la Terre de l'Eau, où il avait asservi le peuple des nymphes. C'était sa propre cruauté qui l'avait finalement perdu : avide de meurtre, il s'était rendu avec un petit contingent sur la partie interne, la plus luxuriante, de la Terre de l'Eau, une zone qui n'apparaissait sur aucune carte et où aucun être humain n'avait jamais songé à s'installer. Ces bois étaient le territoire incontesté des nymphes et il y était impossible de s'y orienter sans leur aide. Là, Mégisto avait été encerclé par un détachement de l'armée des Terres libres. Il avait combattu longuement et vaincu bon nombre d'ennemis. Cependant ce ne furent ni les soldats ni les chevaliers qui en vinrent à bout. Ce furent les nymphes. Se souvenant des malheurs que cet homme avait infligés à leur peuple, toutes les nymphes de la Terre de l'Eau étaient accourues sur le lieu de la bataille et avaient lancé un de leurs enchantements les plus puissants. Le bois s'était enfermé sur Mégisto tel un étau de verdure et l'avait emprisonné dans un enchevêtrement de branches, de feuillages et de plantes grimpantes.

L'homme avait été conduit à Makrat et soumis au jugement du Conseil des Mages. Hélas, le passage relatif à sa condamnation était incomplet. Il ne rapportait que des bribes du réquisitoire de Dagon, le Membre Ancien : << Beaucoup de sang a été versé ces dernières années ; y ajouter celui de cet homme ne rétablira pas la justice. Je propose que soit établi (...) purge sa peine pour l'éternité sur la terre même où il a sévi. Qu'il réfléchisse à ce qu'il a fait dans la solitude de sa prison et que les années puissent lui apporter sagesse et repentir. >>

- Alors, il est vivant, murmura Nihal.

C'était incroyable ! Un ennemi aussi puissant était détenu sur la Terre de l'Eau.

Reis vivait dans la partie occidentale de la Terre de l'Eau, une région montagneuse inhabitée, connue pour ses imposantes cascades de Naël. Selon les dires de Soana, la demeure de Reis se dressait sur un rocher dominant l'eau.

Sennar se pencha pour observer les parchemins tandis que Nihal avançait avec détermination au milieu de ce capharnaüm dans l'espoir de trouver le propriétaire du lieu.

- Sheireen... Finalement, tu es arrivée, Sheireen...

Du fond de la cabane, une voix semblable à une plainte se fit entendre, derrière une tenture rouge en lambeaux.

Impressionnée, Nihal écarta lentement le rideau. Devant une table envahie de papiers et d'amulettes, assise dans un siège de cuir, elle vit une vieille femme.

Quelque chose dans sa figure fit frémir Nihal. Même pour une gnome, Reis était vraiment minuscule, sèche comme une fleur fanée, avec un visage creusé de rides profondes. Sous ses lourdes paupières, au lieu de l'iris se dessinait un cercle blanchâtre, sans expression. Son visage était encadré de cheveux gris jaunâtre, qui tombaient jusqu'au sol et serpentaient sur le pavé. Et pourtant, dans ses traits transparaissait encore une douloureuse délicatesse, et on devinait qu'elle avait dû être belle dans le passé. Mais le temps avait été sans pitié. Quel âge pouvait-elle avoir ? Elle paraissait cent ans, alors que, d'après Soana, elle ne devait pas en avoir plus de soixante.

Aster était reclus dans son antre, assis sur son magnifique trône, dans une salle qui lui semblait maintenant beaucoup trop grande. Quand il avait senti les esprits l'abandonner et la magie refluer loin de ses mains, il avait eu peur. Mais à présent il était calme : il savait que ce jour devait venir, et enfin il était arrivé. Pourquoi avoir peur ? La Consacrée était là, comme l'avait prophétisé ce vieillard quarante ans plus tôt, mais lui était toujours maître du destin, et son objectif final était trop important pour qu'une jeune fille, une demi-elfe échappée aux griffes de la mort, puisse le balayer. Pour mener à bien son plan, Aster était prêt à tout. S'il était écrit qu'il devait affronter cette guerrière, il n'était pas dit qu'il perdrait. Même sans sa magie, il se savait immensément puissant : il connaissait si bien les créatures de ce monde qu'il était capable de déchiffrer clairement leur moindre pensée, leur moindre sentiment. Il combattrait contre cette insolente et la vaincrait, pour réaliser son ambitieux projet.

S'ils partageaient l'enseignement de Soana, Nihal et Sennar étaient aussi unis par le sentiment d'être différents des autres : lui était un magicien - et sous le règne du Tyran les magiciens avaient très mauvaise réputation ; elle était une guerrière, ce qui allait à l'encontre de l'opinion commune, selon laquelle le destin d'une femme était de rester enfermée chez elle à s'occuper de son mari et de ses enfants. Ils se sentaient rebelles, agissaient selon leur bon plaisir, et rêvaient à leurs futurs exploits. Car pour Nihal c'était devenu une certitude : elle se joindrait aux troupes qui combattaient le Tyran. Soana et Sennar lui en parlaient souvent : ils lui avaient expliqué comment il avait usurpé les trônes de plusieurs Terres du Monde Emergé et y avait institué des gouvernements fondés sur la terreur, qui avaient entraîné la décadence et la misère. Et combien le Tyran détestait toutes les races et voulait les soumettre à son obscur pouvoir. La jeune fille retint ce qu'ils avaient dit et ne cessait d'y songer même quand elle retournait à Salazar.

La Terre du Vent, malgré quelques réserves, était considérée par les Terres libres comme un territoire ami : les frontières n'étaient pas encore surveillées, et le passage des hommes et des marchandises n'était pas soumis au contrôle.

Sennar était d'une humeur différente. Tout à son nouveau rôle, il ne pensait qu'à son initiation. Il ne savait pas ce qui était plus fort en lui : le désir d'être un vrai magicien ou le peur du rituel qui l'attendait. D'un côté, il craignait de ne pas être à la hauteur, et de l'autre, il mourait d'impatience de recevoir l'investiture.

Et puis, il y avait Soana, dont le comportement était des plus étranges. Elle, d'ordinaire si mesurée et impénétrable, était soudain rayonnante et sereine, et même rieuse. Nihal avait appris à la connaître et à l'aimer, mais elle ne l'avait jamais vue manifester aussi ouvertement sa joie. On aurait dit que l'attente de quelque chose l'éclairait d'une lumière nouvelle, une lumière qui faisait resplendir sa beauté.