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. Comme la vitre descendait jusqu'au sol, il put voir l'asphalte gris de Madison Avenue. À cette hauteur, les files de voitures et les passages pour piétons paraissaient bien droits et ordonnés. Des taxis couleur de tournesol tournaient et fonçaient aux carrefours, réussissant toujours à s'éviter au tout dernier moment. L'immeuble d'en face bourdonnait d'activité. Edward jouissait d'une vue semblable à celle d'un dieu : chaque fenêtre encadrait un bureau couvert de papiers, un écran d'ordinateur bleu, de l'art contemporain générique, des ficus mourants, des hommes et des femmes parlant au téléphone ou se consultant l'un l'autre. Il était assez comique qu'ils n'eussent pas conscience de ce qui se passait aux autres fenêtres, tout autour d'eux. C'était une vraie galerie des glaces qui reflétait la même scène à l'infini. Il en avait fait partie. Il consulta sa montre : presque 15 h 30, le milieu de ce qui aurait été sa journée de travail.
Afficher en entierLe discours était au point, mais Edward ne se décidait toujours pas. Qu'attendait-il? À quoi jouait-il? Craignait-il de froisser les Went, fût-ce par personne interposée? On était déjà au milieu de l'après-midi. Il pouvait très bien tuer le temps d'ici au soir — ça ne ferait jamais que quelques heures, et, au matin, il appellerait Dan. Il lui demanderait d'envoyer à leurs clients un associé novice ou un des assistants du genre baraqué. Dan l'avait fichu dans le pétrin, c'était à lui de l'en sortir. Ne serait-ce pas là la meilleure solution? D'ailleurs, il n'avait pas grand-chose d'autre à faire aujourd'hui. Laura passa à côté de lui. Il la regarda franchir la porte. Une fois qu'elle fut partie, il flanqua un coup de pied dans l'une des caisses. Un bruit creux résonna dans le silence. De la poussière s'éleva du coffre et retomba sur le sol. Il essaya de nouveau de téléphoner sur son portable. Toujours pas de réseau. Tout l'appartement semblait ensorcelé.
Afficher en entierÇa, pour voir, il voyait. Il croisa les bras. Il avait conscience que cette Anglaise toquée, cette domestique de richards, pensait réellement qu'il allait accepter ce travail. En ce moment même, elle le regardait avec espoir. Il promena les yeux autour de lui, arrêtant dans son esprit les termes d'un discours propre à exprimer son indignation. Un discours brillant, émaillé de magnifiques formules diplomatiques quoique en même temps truffé d'affronts et d'insultes assez subtils pour n'être pas tout de suite perçus. Ce ne serait pas avant plusieurs décennies que Laura, se prélassant dans son fauteuil à bascule, sous le porche d'une maison de retraite pour domestiques, en comprendrait toute la portée. Les mots monteraient à ses lèvres, prêts à être proférés pendant que, lentement, il se rapprocherait à reculons de la porte. Cependant, il hésita.
Afficher en entierDe l'autre côté du battant, c'étaient les ténèbres. Avec circonspection, Edward tâta le sol du bout du pied : il ne voyait absolument rien. Le son se répercuta dans la pièce. Au niveau du plafond, on n'apercevait confusément que quelques lueurs. Bordel! Où est-ce que je suis tombé? se demanda-t-il. Laura le dépassa. Avec une familiarité inattendue, elle lui posa la main sur le coude. Il attendit que ses yeux s'adaptent à l'obscurité.
Afficher en entierAu lieu de répondre, Laura commença à monter. Il faisait sombre, les marches étaient hautes et Edward accrocha son pied au bord de l'une d'elles. Il dut se rattraper à la fine rampe hélicoïdale pour ne pas tomber. L'escalier métallique résonnait faiblement sous leurs pas. Il constituait une spirale serrée et au bout de deux tours dans l'obscurité, Edward ne vit plus rien devant lui. Quand Laura s'arrêta, il faillit la heurter. Il sentit l'odeur de noix de coco de son shampoing, entendit un bruit de clés et le claquement de lourds verrous.
Afficher en entierJ'ai l'impression qu'il y a eu un léger malentendu, susurrât-il. Me permettez-vous de passer un coup de fil? » Edward extirpa son portable de la poche de sa veste et l'ouvrit. Pas de réseau. Il promena son regard autour de lui. « Avez-vous quelque part un téléphone dont je puisse me servir? » Elle fit signe que oui et se leva. Alors qu'elle se penchait en avant, il eut la vision fortuite d'un décolleté parsemé de taches de rousseur. «
Afficher en entierMadame Crowlyk, sans vouloir vous offenser, j'aimerais savoir pourquoi je suis ici. S'il est question d'estimer des documents historiques, notre société peut vous mettre en rapport avec un expert en la matière. En ce qui me concerne, je... — Oh, ça ne sera absolument pas la peine de faire appel à un expert. » Laura semblait trouver cette idée légèrement comique. « En fait, nous avons seulement besoin de quelqu'un qui puisse ouvrir les caisses, déballer les livres et les ranger sur les étagères. C'est-à-dire commencer à mettre un peu d'ordre. Dresser un catalogue. Ça paraît prodigieusement ennuyeux, je sais.
Afficher en entier« Asseyez-vous, dit-elle. Je vous sers quelque chose? Un peu de thé, du vin? Un verre d'eau?» Edward secoua la tête. S'il le pouvait, il ne mangeait ni ne buvait jamais devant des clients. Ils s'assirent. Quoique la cheminée eût été méticuleusement balayée, la pierre laissait paraître les marques noires d'anciens feux. Un fagot poussiéreux de rameaux de bouleau reposait sur un support en fer forgé encore dans son emballage de plastique. Une fois installée en face d'Edward, Laura Crowlyk reprit la parole :
Afficher en entierLa Noire partit en toute hâte. Edward se tint au bord d'un énorme tapis oriental aux motifs compliqués. Le soleil entrait à flots par deux fenêtres d'une hauteur impressionnante. La richesse de cette pièce offrait un agréable contraste avec la façade minable de l'immeuble. On songeait à la retraite secrète d'un pacha. Le haut plafond était peint en blanc et sur des consoles trônaient des vases remplis de subtils bouquets de fleurs séchées. Dans un tableau de petite dimension, qui avait dû coûter cher, un personnage peint en style pointilliste faisait de l'aviron. « Edward, je suppose? » fit une voix de contralto teintée d'un léger accent anglais. Edward se tourna. Laura Crowlyk paraissait avoir la quarantaine. Elle était de petite taille, avait un élégant visage allongé, des yeux brillants et des cheveux bruns plutôt rebelles rassemblés sur la nuque.
Afficher en entierUn porte-parapluie cabossé recouvert d'une exotique peau de reptile se dressait dans un coin. Edward imagina l'animal qui avait fourni sa dépouille abattu dans quelque obscure colonie tropicale par un chasseur de safari de bande dessinée, coiffé d'un casque et armé d'un tromblon. Une porte vitrée à double battant ouvrait sur l'appartement proprement dit. Edward pénétra dans un séjour spacieux. Une robuste jeune Noire y époussetait des bibelots posés sur une table basse. Elle se tourna, surprise.
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