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À quinze ans, à seize ans, on ne peut pas mourir. On pense sans arrêt à la mort, on écrit des poèmes avec du spleen dedans, on a souvent envie de se tailler les veines, suicide au bord des lèvres. Mais en vérité, on ne peut pas mourir. À quinze ans, à seize ans, on est tellement en vie que c’est le monde entier qui crève autour de soi, dans les lumières noires des pistes souterraines.
Afficher en entierJe n’écris pas, moi, je me contente de transmettre l’écriture des autres. En ce moment, je traduis un premier roman britannique, acheté à prix d’or à la foire de Francfort. Je suis une femme de l’ombre, je l’ai toujours été, ma vie émaillée de signes pour que je reste ainsi – éclipsée. Le plus puissant de ces signes n’est pas étranger à ce que je veux raconter, mais je réalise qu’il est très compliqué d’écrire une histoire, même la sienne. Par où commencer ?
Le prodige britannique est, quant à lui, un as de la construction. Je me laisse porter par sa narration, j’interprète ses signes, un autre genre de signes avec lequel je suis plus à l’aise, alphabet, ponctuation, conjugaison.
Marges, et manœuvres.
Je recrée ce qui a déjà été créé, sous-fifre de Dieu.
Afficher en entierMais le bonheur n’étant pas une science exacte, Lyla dérailla quelques mètres plus loin. Une racine trop haute, un mauvais coup de pédale, la chute. Rien de grave, du sable dans les cheveux, une entaille à la cheville, une douleur à la hanche qui, bientôt, deviendrait bleue, pareille à l’océan. Une blessure poétique dans un monde poétique. Lyla avait seize ans. À seize ans, à peu près tout est poétique ; poésie noire parfois, mais poésie tout de même. À seize ans, la vie n’est qu’un immense paysage.
Afficher en entierMaman danse avec les enfants. Maman rit, tête renversée, sirote à la paille une margarita dans un verre en cristal. Même pas en cristal, sûrement Prisunic, Ikea, la Foir’fouille ; mais Elaine sublime tout ce qu’elle touche, reine Midas de cauchemar.
Hervé, en état d’hypnose, comme tous les autres.
Ces petites phrases monstrueuses saisies en plein vol, elle est terrible, la mère de Lyla, terrible, improbables tumescences au fond des slips Mickey.
Afficher en entierLyla s’étonnait que son père n’eût pas déserté depuis des lustres. Il n’avait que quarante-six ans, il pouvait encore tout recommencer. Certes cocu, mais beau gosse dans son genre, le genre sérieux, et puis intelligent. Bien sûr, pour Lyla, la désertion était plus compliquée ; cette femme-là, c’était sa mère. Pourtant, elle attendait avec impatience d’avoir dix-huit ans, d’être légalement libre. Elle espérait qu’alors elle n’aurait besoin que d’une impulsion, tel le coup de feu tiré en début de sprint sur les pistes brûlantes – l’impulsion pour détaler.
Afficher en entierLa lettre était pour Hervé, bien sûr. Elle avait encore en tête ce qu’elle voulait lui dire. Il s’agissait d’un poème à propos de voiliers, de tristesse vernie bleu et de rouge palpitant. Cela s’appelait « Cœur-Naufrage ». Elle aurait pu le rédiger à la main, mais ne l’avait jamais fait. Elle écrivait mal, graphie de gauchère contrariée, vulgaire et immature. L’année suivante, Hervé avait déménagé à l’autre bout de la France. Un mal pour un bien, sans doute. Les amours enfantines, comme disait l’autre…
Afficher en entierRéinventer la langue de l'autre, lorsqu'on est soi-même incapable d'écrire, a fortiori de parler, est l'activité idéale. Un emploi de bonne élève, la créativité en plus, et puis l'empathie, qui vous fait saisir ce que l'auteur a voulu dire. Je suis portée par l'idée obsédante de ne pas trahir sa pensée, son verbe, son âme. Je ne crois en rien, sauf peut-être en cela- l'âme d'un auteur dans les mots qu'il choisit. Il ne suffit pas de transcrire le sens, ce serait beaucoup trop simple, je ne servirais à rien. En traduisant, je pense toujors à cette formule banale, quoique rabelaisienne, substantifique moelle. Rompre l'os pour comprendre, viscéralement, sucer la véité pour créer des les clous, les clous d'un autre.
Afficher en entierLes souvenirs, cela ne se raconte pas - pas comme ça. Les souvenirs sont des fragments qui apparaissent tantôt ici et tantôt là, au passé, au présent, n'importe comment. Des images, des sensations, des bribes, des flashs. De petites cartes postales, des diapositives, des extraits de romans imprimés dans la tête, la queue d'un Marsupilami en forme de pellicule, les dalles perforées d'une salle d'échographie.
Je ne comprends pas les gens capables d'écrire leurs mémoires. Cela n'a aucun sens.
La mémoire n'a aucun sens.
Afficher en entierElaine faisait d'incroyables photos, parmi les plus belles de sa carrière. Elastiques fut son exposition la plus remarquée, l'apogée de sa gloire: une ribambelle de gamines surmaquillées alanguies sur des bancs de vestiaires, épuisées, sublimes, effrayantes, nos seins indécis qui ne savaient pas où pousser parmi les muscles saillants, nos sexes innocents fendus par le lycra DuPont des justaucorps nacrés. Nous étions, mes camarades et moi, quelque part entre la Mini-Miss et la prostituée, auréolées de sequins et d'hématomes, de paillettes et de cloques.
Afficher en entierJe revois la Renault d’Alexis, laquée comme les paupières de la jeune fille de l’accueil. Je revois les reflets du fleuve, mon visage parfait dans le rétroviseur – avant que. Je pense au métallisé de l’enfance, aux espoirs, aux illusions, et à tout ce que je ne suis pas devenue.
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