Extraits

Jessy s’étonna de ne pas voir Lorena les rejoindre. Winston haussa les épaules.

— Elle se trouve grosse, alors elle a décidé de s’priver de déjeuner toute la semaine.

— Un régime lui serait pourtant aussi utile que des couilles à Itan.

Winston fit des yeux ronds, avala difficilement la gorgée d’eau qu’il avait en bouche et éclata de rire. Il fut même gagné d’un fou rire qui lui tira des larmes. Les têtes se tournèrent dans leur direction. Ceux qui se trouvaient à proximité tendirent l’oreille pour essayer d’entendre de quoi ils parlaient.

— Tu l’as ta phrase culte, parvint-il à dire d’une voix étranglée. J’savais qu’tu finirais par m’en sortir une.

Jessy fit signe aux autres de continuer à manger sans se préoccuper d’eux. Stoïque, il dégustait sa bière. Le fou rire de son ami finirait bien par se calmer à un moment ou un autre. Winston hoqueta encore quelques fois avant de réussir à reprendre son sérieux.

— J’adore bosser avec toi. T’es pas prétentieux, tu fais bien ton job et t’es marrant.

Alors qu’il se croyait définitivement calmé, Winston repartit à rigoler quand son regard se posa sur Itan.

— Bon sang, Jessy ! Elle est vraiment excellente ta phrase. Digne d’Eastwood.

Malgré la chaleur étouffante, longer la Reed River était agréable. Doublement même, s’il repensait à la circulation de Dallas. Ici, tout était d’un calme absolu et l’air d’une pureté délicieuse. Jessy se promit de venir se baigner à la première occasion dans la rivière dont l’eau dévalait la pente et rebondissait sur les rochers. À cette heure, le soleil était d’une blancheur éblouissante. Ses rayons frappant la surface de l’eau lui donnaient de merveilleux reflets arc-en-ciel. Sans les jappements ponctuels d’Itan, il se serait senti seul au monde. Maintenant qu’il maîtrisait Abeille, il était temps de tester l’obéissance de sa partenaire. Le nez enfoui dans un buisson, celle-ci semblait obnubilée par ce qu’il cachait.

— Itan ! appela-t-il d’une voix ferme.

La chienne sortit la tête de l’épais feuillage pour le regarder.

— Ici ! ordonna-t-il.

L’ordre était simple, pourtant le museau replongea sans la moindre hésitation dans le taillis, plus intéressée à débusquer un chien de prairie que de lui obéir. Il tenta autre chose.

— Au pied !

Elle n’y accorda pas plus d’attention.

— Mouais, c’est pas gagné, marmonna-t-il entre ses dents.

- Dix dollars que le prochain à se caser sera Jessy, lança Jonah en enfilant son blouson.

- Tenu ! s’écrièrent les autres.

- Je compte sur toi Jessy !

- Je ferai de mon mieux, Jonah. Je te le promets. Croix de bois, croix de fer !

Jessy n’y croyait pas vraiment. Tous ceux qu’ils rencontraient ne cherchaient pas une relation sérieuse, même s’ils prétendaient le contraire.

— Il n’y a pas de salle de sport dans ta ville de rêve ?

— J’ai bien peur que tu sois obligé d’enfoncer des poteaux de clôture à longueur de journée pour entretenir tes muscles.

Postuler ou non ? Jessy devait peser le pour et le contre. Il attrapa un bout de papier sur le bureau et traça un trait en son milieu. Lenny le regarda faire sans rien dire. Quoi qu’il prétende, son ami était encore imprégné d’une évidente rigueur militaire. Sur la première colonne, il nota.

Pour :

Emploi à proximité.

Retour à la nature. (Il adorait les grands espaces.)

Nourri, logé, blanchi. Paie garantie. Cheval fourni. (Il était né dans un ranch, donc montait depuis son plus jeune âge.)

Contre :

Un partenaire avec lequel il devrait bosser en binôme H24. (Il aimait bien travailler en équipe, mais si ce mec était un emmerdeur, le supporter à longueur de temps ne le réjouissait pas vraiment.)

— Ma sœur te donne le bonjour, dit Jessy.

— Tu lui as parlé de nous ? s’étonna Nayati sans masquer sa surprise.

— Elle a tout deviné. D’après elle, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Elle prétend qu’être amoureux me donne l’air complètement idiot.

Nayati arqua un sourcil.

— Ce n’est pas gentil

Jessy haussa les épaules.

— De sa part, ce n’est pas méchant. Je venais de coucher mon neveu dans son berceau quand elle m’a demandé le nom du mec qui me rendait comme ça.

— As-tu eu au moins droit à l’une de ses répliques cultes ? questionna Winston.

— Oui. Juste avant de monter dans l’hélico, il m’a dit un truc qui m’a fait beaucoup marrer. (Jessy s’efforça d’érailler sa voix pour imiter l’acteur.) Toi, je t’aime bien, alors si je dois un jour buter quelqu’un, je te tuerai en dernier.

Clint Eastwood eut un rictus amusé devant son visage barré d’un wanted souligné d’un chiffre à plusieurs zéros placardé sur la porte du bureau du shérif.

— Je ne savais pas que ma vieille carcasse valait autant. Quelle était la prime promise pour Tommy Lee ?

— La même que la vôtre, répondit Jessy.

— Me voilà rassuré. S’il s’en est finalement sorti vivant, j’ai bon espoir d’y parvenir aussi

La chienne dressa ses oreilles et le fixa attentivement. Jessy en profita pour lui avouer :

— Quand je t’ai vue tout à l’heure, j’ai bien cru qu’on me bizutait. Manifestement, le shérif n’aurait pas fait durer la plaisanterie toute la journée, donc tu es bel et bien ma partenaire et non le mexicain que j’imaginais. Si tu es OK, on va faire de notre mieux pour bosser efficacement. Moi en veillant sur toi et toi… sur mes bottes, dit-il d’un ton légèrement ironique. Ça te va comme deal ?

— Tu vas être tonton. C’est cool ! Jessy n’était pas vraiment impatient de le devenir. Pour lui, un enfant n’était intéressant que lorsqu’il était en âge de parler et de courir.