Extraits

En attendant ce jour, Joshua préparait ses enfants à vivre dans le monde tel qu'il était aujourd'hui, à y trouver leur place et à y exister pleinement. Dignement. Car le choix de garder leur dignité ne dépendait que d'eux.

Crayon à la mains, elle ajouta la variable qu'elle avait oubliée dans la phrase mathématique. Son intuition était bonne : il lui fallut moins de cinq minutes pour achever sa démonstration. Un soupir de soulagement lui échappa. Malgré ses efforts et l'excellence de son niveau, elle luttait contre le sentiment d'illégitimité qui l'assaillait parfois au milieu de ses camarades blancs. Leurs regards biais, leur étonnement devant son talent continuait à la déstabiliser.

Dès qu'elle en avait besoin, la petite Coleman levait aussi la main pour poser des questions. Elle encourageait ses camarades à faire de même : "Il n'y a pas de questions idiotes", leur affirmait-elle. "Ce qui est idiot, c'est de ne pas demander"...

- Maman, Dieu est-il blanc ou noir ?

(...)

- Maman ?...

La petite voix de Katherine sortit Joylette de ses pensées. Elle enleva ses lunettes et se frotta les yeux avant de se tourner vers sa benjamine :

- Tu sais ce que j'en pense, ma chérie ? Même s'il est représenté sous les traits d'un homme à la peau blanche, eh bien, moi, je crois que Dieu n'a pas de couleur.

Joylette posa sa paume sur le front de sa fille, qui avait d’habitude bon appétit. Serait-elle grippée ?

– Dans la cour, on m’a dit que je n’étais même pas vraiment noire, comme si c’était…

Joylette lui laissa le temps de trouver le mot juste.

– Comme si c’était mal ou moins bien… souffla la petite.

C’était donc ça, le problème de Katherine. Joylette s’assit près d’elle. Ils s’étaient promis, avec Joshua, de ne pas élever leurs enfants dans la peur, mais dans la dignité. Ceux-ci se respecteraient, se percevraient comme des êtres humains à part entière, ne grandiraient pas sous l’influence néfaste de la pensée dominante des Blancs, qui les rabaissait au rang d’êtres inférieurs. Et s’ils restaient dignes, s’ils gardaient une certaine fierté d’eux-mêmes, les autres les tiendraient également en estime.

En tant que femme, elle avait combattu, par la seule force de son esprit, le refus des hommes de lui accorder la place qu'elle méritait ; en tant que scientifique, elle avait combattu, à travers ses prouesses, le dénigrement de ses recherches par des ingénieurs injustes ; en tant que Noire, elle avait combattu, de toute sa dignité, le rejet et le racisme des Blancs. Il était impossible de bailloner son esprit, comme il avait été impossible de lui barrer la route jusqu'à la Lune.

Elle avait auparavant vaincu d'autres anxiétés, d'autres nécessités. Il lui avait fallu, sans aide aucune, résoudre des équations d'un genre nouveau, sans nul modèle, tracer des paraboles et des ellipses, inventer des trajectoires de vaisseaux qui franchiraient l'atmosphère et parcourraient l'espace sans gravité… Les silhouettes des montagnes se mêlaient à la nuit sous le croissant de lune.

En tant que femme, elle avait combattu, par la seule force de son esprit, le refus des hommes de lui accorder la place qu'elle méritait ; en tant que scientifique, elle avait combattu, à travers ses prouesses, le dénigrement de ses recherches par des ingénieurs injustes ; en tant que Noire, elle avait combattu, de toute sa dignité, le rejet et le racisme des Blancs. Il était impossible de bailloner son esprit, comme il avait été impossible de lui barrer la route jusqu'à la Lune.