Comment les grands de ce monde se promènent en bateau

Hakan avait complètement évacué l’heure de l’adhan de son esprit. Un haut-parleur grésilla et soudain une voix monocorde s’éleva dans les airs, renouvelant l’appel séculaire comme s’il venait tout juste de l’inventer. Il n’avait pas fini que le muezzin d’une des dix autres mosquées alentour renchérit, improvisant un improbable canon. Des dizaines de voix, plus ou moins lointaines, finirent par se superposer, en une cacophonie grandiose et terrible. Elles naissaient des entrailles de la terre, des tripes du Grand Bazaar et de la rue et aspiraient à s’élever, s’entrechoquant, combattant pour s’extirper du vacarme et atteindre les oreilles d’Allah. J. L. Borges ne percevait qu’un étrange rugissement qui émanait de son portable. La friture sur la ligne devint de plus en plus insupportable. Il se résigna à raccrocher, en songeant que les aléas des couvertures réseau constituaient un autre problème – tout aussi épineux que ceux auxquels s’était confronté il y a fort longtemps Cortés – de traduction.