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Extrait ajouté par siegrid 2014-06-23T12:52:32+02:00

JE SUIS ATTEINT

L'hypocondrie ne protège pas de la maladie.

Thomas Lutraux

Il me faut le confesser dans ces pages –elles ont été écrites pour cela–, toutes les maladies dont j'ai à me plaindre, et que je redoute, partent d'un seul et même endroit : le cerveau. C'est le quartier général de mes angoisses, le récipient où mes délires infusent. Je surveille mon corps comme on surveille un trésor, je lui accorde une attention de tous les instants, il est sur écoute en permanence. À trop vouloir écouter, on finit par entendre et c'est alors que mes méninges se mettent à chauffer jusqu'à ébullition. Dès le moindre symptôme, je me sais atteint d'une maladie grave et dans la plupart des cas, incurable, j'en suis convaincu jusqu'au tréfonds de mes cellules. Si Jésus prenait sur ses épaules tous les péchés du monde, je porte sur les miennes toutes les maladies du monde et mon chemin de croix est jalonné de consultations, d'ordonnances, d'analyses et d'examens de toutes sortes. Inutile de culpabiliser pour l'équilibre de nos finances publiques si vous êtes du genre à filer chez votre généraliste au premier rhume venu ; quand il s'agit de creuser le trou de la Sécu, je manie la pelleteuse comme personne.

Je me souviens parfaitement du jour où Claire prononça le mot pour la première fois. C'était en 2002, au Café Ruc, place du Palais-Royal. Nous nous connaissions depuis quelques jours seulement et, devant un thé aux fruits rouges pour elle et un jus de tomate bio pour moi, je lui racontais ma vie – passionnante – de journaliste, comment je trouvais l'inspiration de mes sujets, les heures passées sur mon ordinateur à écrire, et le syndrome du canal carpien qui en avait résulté au niveau de ma main droite. C'est au moment où je lui confiais avoir cru dans un premier temps à la sclérose en plaques qu'elle prit quelques secondes pour m'observer avec ses yeux verts, avant de me questionner, un délicieux sourire en coin.

— Thomas, tu ne serais pas un peu hypocondriaque par hasard ?

— Pardon ?

— Oui, tu sais bien, du genre à toujours t'imaginer avoir attrapé une maladie, grave bien entendu, sinon c'est pas drôle.

Elle m'aurait traité de chochotte peureuse et pleurnicharde que je ne me serais pas senti plus humilié.

— Pas du tout, je n'imagine rien et connaissant les signes avant-coureurs de la sclérose en plaques, je pensais avoir des raisons valables et objectives de m'inquiéter.

J'essayais de m'exprimer sur le ton le plus dégagé possible.

— Et avant celle-ci, quelle autre maladie as-tu pensé attraper ?

— Je ne vois pas, aucune récemment.

Je voyais très bien. Le syndrome de Guillain-Barré, huit jours plus tôt.

La lucidité était l'une des nombreuses qualités de Claire et j'aurais maintes occasions de l'apprécier pendant les huit années qui allaient suivre. De son côté, elle venait de mettre le doigt sur ma névrose et trouverait, au cours des mêmes années, l'opportunité de s'en amuser, de s'en émouvoir… et de s'en lasser. Au Café Ruc, elle ne savait pas encore que mon état me ferait lui dire un jour la seule chose qu'elle n'avait pas envie d'entendre. Claire avait des tas de qualités mais aucune boule de cristal.

Hypocondriaque : un mot à la consonance étrange, rimant avec maniaque, paranoïaque et cardiaque. « Qui souffre d'un état d'anxiété permanente, pathologique, concernant la santé », voilà comment mon Larousse résumait l'affaire. En lisant cette définition, j'en découvris une autre, celle du mot qui précédait. Hypochrome : « Se dit d'une anémie due à une diminution de la concentration de l'hémoglobine dans les globules rouges. » je sentis d'un coup un vilain coup de pompe et l'envie impérieuse de refermer le dictionnaire.

Étant donc établi que l'hypocondrie est une maladie, en voilà au moins une que l'hypocondriaque ne fait pas naître de son imagination. Quant aux autres, toutes les autres, je patauge dedans à longueur d'articles. Chaque matin, les rapports anxiogènes et les études flippantes remplissent ma boîte mail de journaliste Santé. Ils me donneraient aussi sec l'envie de me jeter sous les roues d'un bus de la ligne 191 à Clamart si je n'avais cette possibilité, indispensable à mon équilibre mental, de faire partager mes angoisses à des lecteurs qui ne demandent que ça. Si je devais garder pour moi tout ce dont m'abreuve le milieu médical, j'imploserais comme une vieille télé et l'on me retrouverait un jour prostré devant mon ordinateur, le regard vide, la bouche ouverte et un filet de bave au coin des lèvres. Ceux qui me lisent m'épargnent cette fin piteuse en me délestant d'une part de mon fardeau. Je peux m'épancher sur leur épaule avant qu'eux-mêmes ne le fassent avec leur entourage et ainsi de suite. Dans cette pyramide, ce n'est pas du champagne qui se déverse de haut en bas mais de la peur et c'est moi qui régale.

L'appréhension peut tout aussi bien surgir d'une conversation banale. Je suis une éponge et que l'on m'entretienne de fibromyalgie, rubéole, œdème de Quincke ou insuffisance veineuse, je m'imbibe. Tuberculose, arthrite, colopathie ? Je m'imprègne. Bien entendu, je m'attribue en priorité les maladies mortelles, privilégiant celles qui se terminent par une agonie lente, douloureuse et dégradante.

Et puis, il y a la télé, toujours prompte à allumer un feu quelque part. Un jour, en nous alertant sur les risques de voir une hépatite C se transformer en cancer du foie, ou sur la possibilité de contracter une maladie nosocomiale à l'hôpital. On connaît les maladies sexuellement transmissibles, j'aurais beaucoup à dire sur celles qui s'attrapent par les ondes. Les statistiques à ce sujet sont édifiantes : entre 1999 et 2006, la rubrique « Santé » est passée du douzième rang des rubriques des JT au quatrième. Entre 1996 et 2001, 1 369 sujets ont été consacrés à la vache folle sur les chaînes principales. Rien qu'en 2009, la grippe H1N1 a eu droit à plus de 700 reportages. Ce n'est plus de l'information, c'est du harcèlement. Les reporters sont payés du salaire de la peur ! Pas étonnant que la télé soit devenue ma plus grosse pourvoyeuse d'angoisses, me fournissant chaque jour la dose nécessaire pour m'empêcher de décrocher.

CHARLIE

Mon Mr Hyde à moi ne fait de mal à personne, si ce n'est à la Sécu.

Thomas Lutraux

J'aimerais pouvoir fuir mon écran plat lorsqu'il m'agrippe par la manche pour me parler de ma santé. Non, je vous dois la vérité. C'est seulement une moitié de moi qui souhaiterait s'esquiver car l'autre moitié, elle, a très envie de répondre à ses avances cathodiques, animée d'une curiosité malsaine. S'installe alors un dialogue intérieur entre mes deux « moi » qui se font face, variante soft de Norman Bates et de sa mère taillant une bavette dans Psychose d'Hitchcock ou comment devenir schizophrène devant Le Magazine de la santé au quotidien.

— Elle a l'air intéressante cette émission, regarde-la, tu vas sûrement apprendre des choses !

— Pas question, je sais comment ça va finir.

— Ça finira mal à coup sûr si tu préfères laisser les maladies agir dans l'ombre.

— Je voudrais faire une pause, me changer les idées, être un peu insouciant, c'est trop demander ?

— Des insouciants, on en trouve plein les cimetières, espèce de feuille de maladie mal remplie !

Cet autre « moi » prend facilement la mouche, il n'aime pas que son double lui résiste. Si besoin, il n'hésite pas à dramatiser. C'est qu'il finirait par me donner un ulcère !

— T'es-tu déjà demandé ce qui se passerait si j'arrêtais un jour de m'angoisser pour ma santé. Est-ce que ma vie n'en serait pas meilleure ?

— Et si le ciel était vert, et si les hippopotames jouaient à la console de jeux, est-ce que ta vie n'en serait pas meilleure ? On peut revenir sur Terre maintenant ?

— Bon, bon…

Je me dois de faire les présentations. Ce téléphage ombrageux, c'est Charlie – mon second prénom pour un aspect de ma personnalité dont je ne suis pas très fier mais avec lequel je dois composer. Nous sommes tous pétris de contradictions, parfois en proie à des émotions ambivalentes et qui peuvent nous laisser dans un état de confusion totale. J'ai fait de l'ambivalence un art. Je suis Thomas autant que je suis Charlie, cet être torturé qui a fait de sa vie une pénitence pour expier je ne sais quels mystérieux péchés. En ayant pris pour habitude de le nommer, j'ai l'impression de le tenir en respect, de le circonscrire, de le mater mais il me faut accepter l'évidence, cette impression est une illusion. Charlie est chez moi chez lui et il prend le contrôle de la situation quand cela lui chante et sans faire de sentiment. Tant de combats perdus pour ma pauvre Claire.

Il faut dire que ce mauvais génie a une ordonnance à la place du cœur et s'il lui arrive de l'écouter, ce n'est que pour y déceler une éventuelle anomalie au niveau de la veine cave supérieure. C'est ma part sombre, anxieuse, toujours en alerte et addicte aux médicaments. Je lui dois mes coups de chaud et mes sueurs froides. Charlie est accro à mon taux de cholestérol, bon ou mauvais, de glycémie et d'urée, il suivrait en temps réel ma numération globulaire s'il le pouvait. Un léger mal de crâne et c'est ma tête qui va éclater avant la rupture d'anévrisme. Charlie s'endort le soir en comptant les dix mille espèces microbiennes qui colonisent notre corps, les cent mille milliards de micro-organismes présents sur notre peau, dans nos intestins, notre nez ou notre bouche.

Il se rappelle à mon souvenir de manière intempestive, sans crier gare et parfois à une cadence infernale mais j'ai la chance de l'avoir identifié. C'en est une, croyez-le, car cela m'évite de basculer dans un trouble dissociatif de l'identité qui m'aurait empêché de vous narrer mon histoire. Je suis donc à ranger dans la famille des hypocondriaques névrotiques et non psychotiques. Les premiers sont conscients de leur état, les autres ont lâché prise et Charlie est chez eux l'unique maître à bord. Se réjouir de n'être que névrotique, n'est-ce pas finalement une belle manière de positiver ?

Une chose est sûre. Devant la télé, Charlie aura toujours le dernier mot et je finis par saisir la télécommande, tel l'alcoolique se jetant sur sa bouteille de whisky. Comme prévu, l'émission, redoutée et désirée à la fois, actionne le mécanisme infernal. Ni une ni deux, je plante là mon téléviseur et je file sur Internet croyant y trouver des informations rassurantes. Erreur fatale ! Au lieu de m'offrir une planche de salut, le web m'entraîne au fond de l'abîme. En quelques clics, j'accède aux sites les plus alarmistes sur la maladie du jour et mon stress atteint des niveaux olympiques. Pour m'éviter d'en arriver là, aux grands maux les grands remèdes. Frédérique, ma petite sœur – même devenue grande, une petite sœur reste « petite » – a bloqué sur mon ordinateur l'accès à tous les sites médicaux. Louée soit cette femme qui manie l'informatique comme je manie la carte Vitale. Elle me connaît jusqu'aux soubassements de mon âme tourmentée et sait bien que si je le pouvais, je chatterais sur la toile avec les pensionnaires de Villejuif et de la Pitié-Salpêtrière.

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