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Je suis sans doute responsable de ce qui va arriver. Après tout, c’est bien moi qui m’amuse à prononcer un passage de la fameuse scène entre les trois sorcières de Macbeth. Et ce tout en dégustant un cappuccino géant sans matière grasse, avec un zeste de noisette et beaucoup de vanille, de la mousse de lait entier et un soupçon de cannelle. Je plonge ma cuiller dans le pot de lait, tout en répétant une incantation troublante… Ma cliente, une femme entre deux âges qui fréquente la bibliothèque tous les lundis après-midi, me demande :

— C’est extrait de quoi ?

Elle s’appelle Marguerite et fait des recherches sur les jardins coloniaux. Pour elle, j’ai recherché le moindre opuscule traitant de la propagation des arbres à fleurs.

— De Macbeth.

Vous voyez bien que c’est ma faute ! Tout le monde sait que prononcer le nom de la pièce dite « écossaise » de Shakespeare porte malheur. Du moins aux acteurs. Mais jamais je n’aurais dû prendre un tel risque en affrontant cette malédiction ! J’ai probablement mérité tout ce qui va m’arriver aujourd’hui et dans les semaines qui viennent… Même le… Bref! Pas la peine de brûler les étapes.

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Je rejoins Evelyn qui est assise derrière son bureau. Ce dernier croule sous des piles de papiers importants qui se sont affaissées sur son sous-main en simili cuir. Je jette un coup d’œil sur les reproductions accrochées aux murs – les jardins à la française de Mount Vernon et les colonnades de Monticello – et je me demande pour la énième fois comment ma bordélique de patronne a pu choisir de travailler dans une bibliothèque où tout repose sur l’ordre, l’harmonie et la rationalité du cerveau humain.

Je m’arrête sur le seuil de sa porte. Evelyn me fait signe de m’asseoir.

— Jane, entrez. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.

Je me sens toujours vaguement coupable quand je suis assise face à elle, comme si je me retrouvais dans le bureau du directeur de mon école primaire. Et comme Evelyn est le parfait sosie de la mère supérieure de La Mélodie du Bonheur, ça ne facilite pas les choses. Vous vous souvenez ? Celle qui ressemble à John Wayne en habit de nonne. La pauvre…

Je m’assieds, le sourire aux lèvres.

— Laissez-moi deviner… Le conseil d’administration a décidé d’embaucher trois nouvelles bibliothécaires pour le référencement des ouvrages et c’est moi qui chapeauterai le tout ?

Elle secoue la tête tristement.

— J’ai bien peur que non.

Je me sens soudain beaucoup moins fière. Elle a l’air sérieux.

— Dans ce cas, mieux vaut commencer par la bonne nouvelle.

A son mouvement de sourcils, je comprends qu’elle est plutôt du genre à annoncer les mauvaises nouvelles d’abord.

Comme ceux qui mangent leurs betteraves au vinaigre avant le reste, quitte à se pincer le nez si besoin est. Ça, c’est un truc qui me dépasse. Quel est l’intérêt de se gaver de betteraves au vinaigre ? De se rendre malade ou d’être obligée de filer avant le dessert ? Le résultat, c’est qu’on n’a plus de place pour le parfait au chocolat ou le gâteau au fromage blanc !

— D’accord, commençons par la bonne nouvelle. Le conseil d’administration a débloqué des fonds spéciaux pour financer un nouveau projet.

Je souris d’avance. Mais Evelyn a l’air gêné. OK., j’ai compris… la bonne nouvelle n’est pas si bonne que ça.

Je me prépare mentalement à recevoir la réponse.

— Quel genre de projet ?

— Vous savez que nous avons tenté d’accroître la fréquentation de notre bibliothèque. Il faut que nous nous intégrions davantage à notre voisinage.

Je hoche la tête, mais je n’en pense pas moins. Nous n’avons rien d’une caverne d’Ali Baba où l’on trouve pêle-mêle romans et livres d’image ! Certes, la bibliothèque, située dans le quartier de Georgetown, le coin le plus riche d’histoire du District de Washington, est nichée au cœur d’hôtels particuliers, à l’image de la demeure de style colonial qu’elle a été autrefois, et possède un immense parc envié par tous les jardiniers des grandes villes. Mais sa principale richesse est sa collection unique au monde de livres, manuscrits, incunables et éphémères sur la vie en Amérique au dix-huitième siècle. Ce n’est pas précisément l’endroit où l’on va en sortant de l’école, ni une attraction pour les adhérents au club du livre Mommy and Me.

Evelyn poursuit :

— Le conseil a décidé que nous devions élargir notre domaine d’activité en nous inspirant du livre de Disney. Vous savez comment ils ont créé Epcot… ce parc dédié à la culture et l’innovation technologique, où chaque pays européen a son propre territoire… Je hoche la tête sans conviction. Je ne vois franchement pas où cette idée va nous mener.

— … eh bien, nous ferons la même chose ici. Nous ferons de Peabridge le symbole de l’Amérique coloniale.

Je raidis le dos pour le choc final en m’efforçant de répéter ses propres mots.

— Vous dites que nous ferons de Peabridge…

— Exactement ! Et nous porterons des costumes d’époque !

Evelyn a l’enthousiasme d’une mère de famille en train d’expliquer l’art de soigner les caries.

Je ne peux m’empêcher de rétorquer :

— C’est une plaisanterie ? Vous avez bien dit des costumes ?

Mais je me sens coupable en voyant la tête d’Evelyn. Je jette un coup d’œil à la table désertée par Jason. Quel Petit Ami Virtuel pourrait bien être attiré par une femme portant un jupon à cerceaux, un corset et une charlotte ?

— La cafétéria ne suffit pas, Jane. Nous n’avons toujours pas la clientèle souhaitée par le conseil d’administration. Le Dr Bishop s’est déjà arrangé avec la Colonial Williamsburg Foundation. Ils ont pas mal de choses en stock dans un entrepôt. Les costumes arriveront lundi prochain au plus tard. Vous verrez comme ce sera amusant !

Amusant… Evelyn est peut-être impatiente de recevoir les nouvelles tenues et de se réserver un ensemble brun et rose un peu trop carré conçu pour une femme de vingt ans plus jeune, mais pour moi, c’est une autre paire de manches (si j’ose dire!). J’aurai l’impression de me déguiser pour Halloween chaque fois que je viendrai bosser. Dommage que je n’aie pas une bonne vieille baguette magique ! Elle me serait bien utile.

Je tente de défendre ma cause d’un point de vue purement logique.

— Evelyn, nous sommes censées promouvoir l’érudition et le savoir, non ?

— Oui, et c’est ce que nous faisons. Mais rien ne dit que nous devions le faire en ignorant le progrès. Avez-vous envie que nous donnions de nous l’image de bibliothécaires poussiéreuses, tatillonnes et…

Elle n’achève pas sa phrase, cherchant un mot suffisamment horrible qui colle à la situation.

J’en ai la gorge sèche. Je me rends bien compte que le pire est encore à venir. En fin de compte, les costumes, c’était plutôt la bonne nouvelle…

Je brave son regard.

— Et la mauvaise nouvelle…?

Evelyn répond d’un ton grave, comme un médecin diagnostiquant une maladie mortelle.

— Le conseil d’administration a étudié le problème des salaires.

Personne ne devient bibliothécaire pour être riche. Surtout en acceptant un job dans une petite bibliothèque privée – laquelle se croit obligée de déguiser son personnel en costumes de soie brodée du dix-huitième siècle pour inciter les clients à pousser la porte ! Non, les gens choisissent ce métier pour prendre leur retraite tôt. Personnellement, je suis venue à Peabridge dans le cadre d’un stage en entreprise pendant que je préparais mon mastère, et je suis restée parce que les gens me plaisaient. Aussi bien Evelyn que le reste du personnel et les clients. Je ne m’attendais certainement pas à devenir millionnaire.

Ceci dit, je ne m’attendais pas non plus à entendre la suite de la bouche d’Evelyn.

— Nous allons devoir amputer votre salaire de vingt-cinq pour cent.

Elle s’empresse d’ajouter :

— Je n’étais pas d’accord, et je le leur ai fait savoir, vous savez ! Mais vous n’ignorez pas que certains membres du conseil sont toujours d’avis que nous n’avons aucun besoin d’une bibliothécaire conseil, et qu’une archiviste suffirait.

Je suis incapable de prononcer un seul mot. J’ai déjà réduit mon budget vacances à un voyage en car d’une semaine pour aller à la plage. J’apporte tous les jours mon déjeuner au boulot (parfois, je me contente de prendre en douce un gigantesque cappuccino au bar). Quant au petit déjeuner – quand il m’arrive d’en prendre un ! –, il se résume à une Pop-Tart…

Au moins, ça m’évitera de dépenser mon argent à acheter des fringues pour le boulot ! Ceci dit, vingt-cinq pour cent, c’est énorme… Jamais je ne me serais attendue à une baisse pareille, même dans mes pires cauchemars.

Je lâche d’une voix nouée par le choc :

— Mon loyer… Si vous me retirez un quart de mon salaire, je serai dans l’impossibilité de payer mon loyer. Je deviendrai SDF, Evelyn. Je vivrai sous un pont, comme celui de Key Bridge, et j’arriverai tous les matins devant la porte de la bibliothèque en poussant mon Caddie.

Evelyn change soudain de ton, comme si elle s’adressait à un malheureux menaçant de se jeter du haut du Washington Monument.

— J’ai moi-même dit au conseil que c’était beaucoup trop, que nous ne pouvions pas faire cela aux gens qui travaillent pour nous, surtout à vous, Jane. Vous êtes déjà relativement sous-payée, même dans notre secteur d’activité.

C’est toujours bon de se l’entendre dire. D’ailleurs, bizarrement, au moment où elle s’apprête à faire sa grande annonce,

Evelyn a l’air content.

— Jane, j’ai fini par obtenir beaucoup mieux. Je vous offre une maison. Vous serez logée gratuitement tant que vous travaillerez pour nous.

— Une maison ?

Je me demande soudain si je n’aurais pas glissé sans m’en apercevoir dans un univers parallèle… Je résiste à l’envie de jeter un coup d’œil autour de moi pour détecter d’éventuelles caméras cachées ou toute autre preuve que ce qui m’arrive n’est jamais qu’un nouveau reality show totalement déjanté.

Evelyn lève le nez de son corsage brun chocolat et me sourit à pleines dents.

— C’est la solution idéale ! Vous continuez à travailler pour nous, nous amputons votre salaire de vingt-cinq pour cent, mais vous logerez dans l’annexe, là-bas, au fond du parc !

L’annexe… Quelle annexe ? C’est vrai que le parc de Peabridge est immense, mais il n’y a aucune annexe. Il y a un belvédère, une pagode, un obélisque et… Tout à coup, j’ai l’impression de recevoir un coup de pic à glace dans le ventre.

— Vous voulez parler de l’ancienne remise du gardien ?

— Une remise ? De toute évidence, vous n’y avez jamais mis les pieds. C’est un vrai manoir !

Dans le cauchemar d’un malade, c’est possible. Chaque fois que je passe près de ce bâtiment délabré, j’ai la chair de poule. Mes cheveux se dressent pratiquement sur ma tête à la naissance du cou. Les murs semblent être un havre de courants d’air humides et froids.

— Evelyn, je ne peux pas vivre dans un hangar à outils poussiéreux.

— Ce n’est pas un hangar à outils ! C’était une maison destinée à un jardinier professionnel, un spécialiste diplômé en horticulture coloniale. Il y a une cuisine et une chambre indépendante.

— Il y a aussi des toilettes ? Je me demande même s’il y a l’eau courante, là-bas. Sans parler de l’électricité.

— Mais bien sûr ! Vous nous prenez pour des barbares ?

Je baisse les yeux sur mon pantalon noir et mon corsage de soie préféré à la coupe spécialement étudiée pour mettre mon décolleté – minimal hélas ! – en valeur. C’est la tenue « spécial lundi » que j’ai choisie pour attirer l’attention de Jason dès le début de la semaine. C’est la dernière fois que je la porte pour bosser. A partir de la semaine prochaine, je m’habillerai façon Martha Washington.

Non, je ne les prends pas pour des barbares. Ce dont je suis persuadée en revanche, c’est que le conseil d’administration de Peabridge est complètement déconnecté de la réalité.

Ceci dit, ai-je vraiment le choix ? Je pourrais retourner vivre chez Mamie ou squatter le studio de Melissa… Si je m’abrite dans un carton sous le Key Bridge, comment faire passer Jason de la catégorie de Petit Ami Virtuel à celle de Petit Ami Réel ? Sans compter qu’on pourrait m’arrêter pour non-remboursement de mon prêt d’étudiante…

— Vous avez bien dit que je serais logée gratuitement ?

— Absolument.

— Toutes charges comprises ?

— Toutes charges comprises.

Il faut dire que je suis fatiguée de me battre avec mon propriétaire pour faire réparer la fuite d’eau du plafond de l’appartement que j’occupe actuellement. En plus, des voleurs se sont introduits deux fois chez moi l’an dernier (il n’y avait pourtant rien de bien à piquer !). Et pour venir travailler par les transports en commun, je mets presque une heure chaque matin et chaque après-midi. Ici, ce serait l’affaire d’une minute. Je pourrais dormir jusqu’à 8 heures et arriver quand même au boulot à l’heure. Et passer chez moi en coup de vent le midi pour me préparer un déjeuner digne de ce nom. Je pourrais même proposer à Jason de l’aider sur un projet de recherche, travailler tard à ses côtés, attablée à ma table de cuisine avant de lui proposer un dernier verre.

Oui, je pourrais tout avoir : un petit ami bien réel, un bon boulot à la bibliothèque, une maison à moi. Et que Scott Randall aille se faire voir, lui et la baguette magique que je désirais tant !

Je tends la main à Evelyn… en réprimant mon embarras soudain suscité par la vision de mes ongles rongés. Voilà encore une sale habitude à perdre, ça me fera un nouvel objectif.

— Affaire conclue !

Evelyn me prend la main, et son sourire me rassérène.

— Affaire conclue !

Et voilà. J’ai conservé mon boulot, j’ai un nouveau toit et je vais faire des économies de garde-robe, même si, j’en conviens aisément, elle est déjà très limitée. Mais alors, pourquoi donc ai-je la sensation d’être à deux doigts de tomber la tête la première dans un précipice ?

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