Crime impuni

Il y avait dix minutes qu’elle était montée et sans doute était-elle déshabillée quand quelqu’un tira la sonnette de la porte d’entrée, quelqu’un qui n’était pas un habitué de la maison car il avait tiré trop fort, au risque d’arracher la chaîne.

Elie attendit un instant, épiant les bruits d’en haut.

— Cela ne vous ennuie pas d’aller ouvrir ?

— Tout de suite, madame !

Il aimait particulièrement certaines expressions françaises et « tout de suite » était une de ses locutions préférées.

Tandis qu’il suivait le corridor aux murs peints en faux marbre, il voyait l’ombre de deux jambes dans la ligne de lumière qui filtrait sous la porte. Il ouvrit, se trouva en face d’un homme de son âge et, comme s’il éprouvait un pressentiment, se rembrunit. S’il avait osé suivre son instinct, il aurait refermé la porte et répondu à Mme Lange, quand elle l’aurait questionné, que c’était un mendiant qui avait sonné. Il en passait presque tous les jours.

La cour de l’école, en face, était vide. Il n’y avait personne dans la rue, sauf le jeune homme qui se tenait devant le seuil et regardait Elie d’un air intrigué et surpris.

Au lieu de dire immédiatement ce qu’il voulait, il prit le temps de réfléchir. Son regard glissa des cheveux roussâtres et presque crépus d’Elie à ses yeux globuleux, à ses lèvres charnues, à ses vêtements enfin qui, comme le pardessus, dataient encore de Vilna et, quand il parla, ce fut pour dire avec un léger sourire :

— Je suppose que vous êtes polonais ?

Il s’était exprimé en polonais, avec un accent qu’Elie reconnut.

— Oui. Qu’est-ce que vous désirez ?

— Je viens pour la chambre à louer.

Il désignait du menton l’affiche qui, appliquée à une des fenêtres du rez-de-chaussée, annonçait qu’une chambre meublée était libre.

— Je suppose que vous êtes étudiant aussi ? continua-t-il.

Il semblait étonné qu’Elie ne lui rendît pas son sourire et le laissât sur le trottoir sans l’inviter à entrer. La voix de Mme Lange questionnait, du haut de la cage d’escalier :

— Qu’est-ce que c’est, monsieur Elie ?

— Quelqu’un pour la chambre.

— Voulez-vous le faire entrer ? Je descends dans un instant.

Le nouveau venu avait entendu, mais il ne devait pas avoir compris et gardait son air interrogateur. Ce n’était pas un Polonais, mais un Roumain.

— Entrez. La propriétaire va descendre.

Elie recula un peu dans le corridor pour faire place à l’étranger, fut sur le point de retourner dans la cuisine en le laissant là. Il aurait pu lui ouvrir la porte de la chambre de devant, celle qui, justement, était à louer.