Dans son propre rôle

C'est le 2e roman de Fanny Chiarello que je lis, et, comme La Vie effaçant toutes choses, je l'ai trouvé au départ très déprimant, mais très bien écrit. En effet, j'ai été très touchée par le mutisme de Fennella, venu d'un traumatisme, et du regard des autres face à cela. Les domestiques ont des réflexions répugnantes à ce sujet et la prennent comme souffre-douleur quand cela les arrange. Face à elle, nous avons le personnage, tout aussi profond et touchant, de Jeanette, une veuve de guerre qui ne vit plus depuis la mort de son mari Andrew. Elle passe son temps à se demander ce que son mari voit, laisse toujours une portion de nourriture et un fond de verre à cet absent, qui l'empêche de savourer les infimes moments de l'existence. Elle est très amère et attend de rejoindre son mari. Ces deux femmes, qui n'ont apparemment rien en commun, vont cependant se rencontrer, grâce à une lettre adressée par Jeanette à la cantatrice Kathleen Ferrier, mais qui, par erreur, se retrouve dans les mains de la maîtresse de Fennella, Lady Kate Ferrier. En lisant le témoignage de cette femme et de sa douleur, la jeune muette pense qu'elle est son miroir, qu'elles se comprennent toutes les deux, et décide de partir en vacances pour la retrouver. Ainsi bercée par le jazz et l'opéra, nous assistons à la rencontre tumultueuse et décevante de ces deux femmes, au rejet de Jeanette, qui ne comprend pas pourquoi cette étrangère veut la détourner de sa douleur, et au miracle de Fennella, qui retrouve la parole lorsque deux scènes se superposent dans son esprit. Même si cette rencontre semble sonner comme un échec, nous avons le plaisir de retrouver les deux protagonistes dix ans après. L'autrice nous montre alors ce que chacune a pu apporter à l'autre : Fennella a rencontré l'amour et le bonheur ; Jeanette, elle, est entrée au service d'une cantatrice qui la présente à la fameuse Kathleen Ferrier. Si cette lettre n'avait pas été mal adressée, leurs vies respectives auraient-elles à ce point changé ? L'autrice nous laisse alors avec la dernière phrase du roman : « On peut trouver un formidable espace de liberté, Mrs Doolittle, dans son propre rôle ».

Deux femmes que la guerre n'a pas épargné, elles ne se connaissent ni d'Eve ni d'Adam et pourtant le destin va les réunir pour que leur vie soit à nouveau chamboulée.

Une belle histoire qui nous mène à réfléchir sur le sens de la vie.