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Livre en lecture libre - publication sur Atramenta : http://www.atramenta.net/lire/dans-ton-regard/
Extrait - Chapitre 1
Il est vingt heures trente. Comme chaque soir de travail, tu quittes le restaurant et tu marches en direction de la maison. Tu fais toujours le même trajet. Il arrive que tu prennes le bus, mais lorsqu’il fait bon, comme ce soir, tu préfères marcher. Tu as raison : la nuit s’annonce magnifique. Je te suis à bonne distance. Jamais tu n’as remarqué que j’étais là, à te suivre discrètement. Je préfère rester à l’écart, sur le toit des immeubles environnants. Un chemin que je connais par cœur à force de le répéter cinq soirs par semaine.
Je regrette de ne pas t’avoir connue avant. Qui sait pourquoi tu es aussi solitaire ? J’ai bien eu l’audace d’entrer chez toi par effraction, mais les premières nuits, j’ai préféré t’observer dormir. C’est le seul moment où tu permets à tes cheveux de s’étaler sur l’oreiller comme ils l’entendent. Ton corps, que tu courbes et que tu masques avec timidité, tu le laisses enfin prendre tout l’espace autour de toi. Tes formes, ta peau, ton odeur… cette liberté que seul le sommeil arrive à te voler. Un tableau magnifique, si tu savais…
En temps normal, je me serais jeté sur toi. Ma faim m’aurait obligé à te dévorer, mais même le premier soir, quand j’ai souhaité faire de toi ma victime et me gorger de ton sang… je n’y suis pas arrivé. Quand tu as posé les yeux sur moi, tout s’est embrouillé dans mon esprit. Ton regard était clair, heureux, surpris… et comme j’étais là, pantois sur ta route, tu m’as demandé si tu pouvais faire quelque chose pour m’aider. J’aurais pu dire quelque chose qui ressemble à : « j’ai besoin de ton sang », mais je suis resté muet. Pourquoi ? Qui sait ? Peut-être parce que les jeunes femmes comme toi ont toujours peur de moi. Je ne suis pas vraiment vieux, pas complètement laid non plus, mais je n’inspire ni la confiance ni l’empathie. Mon teint est blafard et j’ai probablement les yeux éteints. Rien à voir avec la chaleur et la vie qui t’animent. D’ailleurs, depuis ce jour, je copie chaque sourire que tu fais à tes clients, chaque battement de cils et même l’ouverture de tes yeux : grands, clairs, lumineux. À les reproduire, je voudrais me sentir plus vivant. Plus humain aussi. Aurais-je jamais le courage de reparaître devant toi ? J’en doute. De toute façon, tu ne dois plus garder le souvenir de cette nuit-là, ou alors tu dois te remémorer un imbécile qui a surgi et qui a disparu de ta vie dans un même souffle.
Ta routine n’a aucun secret pour moi. Je connais même les clients réguliers qui viennent à ton restaurant, ceux qui t’appellent par ton prénom. Daphnée. Le nom d’une nymphe, rien de moins. Six mois que je suis là, à te suivre dès que je me lève, me faufilant à ta suite, comme une ombre. J’admire tes gestes, tes rires, tes cheveux bruns, légèrement bouclés, que tu passes ton temps à emprisonner dans cette pince pour éviter qu’ils ne tombent sur ton visage. Même le week-end, tu ne leur permets que rarement d’être libres. C’est dommage. Tu n’as pas la moindre idée de la femme magnifique que tu es.
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