Extraits

Gunner allait m’embrasser.

Et j’allais le laisser faire.

J’allais laisser ce bâtard exaspérant, complexe, criminel, avec un sourire qui me faisait défaillir, m’embrasser, me toucher, et faire ce qu’il voulait de moi. Je m’en réjouirais. Je m’en délecterais.

Parce que pour une fois.

Rien qu’une fois.

Je voulais être heureux.

— Quoi ? demandai-je.

Gunner fit quelques pas et posa la tasse sur une table à proximité. Puis il se dirigea vers la porte, en disant à voix basse :

— Crown.

— Pardon ?

— Vous portez du Crown.

Gunner mit son Stetson et marqua une pause, la main sur la poignée de la porte.

— Qu’est-ce que c’est ? Pas Buckingham. C’est moins savonneux.

— Euh… Fougère.

Gunner sembla satisfait de cette réponse. Il ouvrit la porte et fit un pas sur le porche sans rien ajouter.

Le regard de Gunner aurait pu clouer un homme à un putain de mur. Je me sentis dépouillé. Nu. Ses yeux bleus me fendirent, comme une fissure dans la terre qui s’ouvre sous une certaine pression. Son regard alluma de nouveau cette lumière en moi, et je sus, je sus simplement, que Gunner était capable de décoder mon âme.

— Il a commis de nombreux et terribles actes, madame.

Elle tripota la manche de sa robe pendant un moment.

— Parfois, les gens doivent faire de terribles choses pour la bonne cause, monsieur. Le monde n’a jamais été tout noir ou tout blanc. Le gris n’est pas si moche, comme couleur.

Alors je faisais semblant de ne pas entendre les bruits qui couraient. Je tempérais la jalousie amère qui bouillonnait dans mes tripes lorsque j’étais témoin de moments d’intimité entre les autres. Et je faisais comme si je ne m’endormais pas régulièrement en pleurant à cause de la solitude. 

Ma vie était déjà assez compliquée en tant que sorcier. Si l’on découvrait que j’étais effectivement avide de l’attention des hommes - mentalement, émotionnellement, physiquement - je serais foutu.

- Agent spécial Gillian Hamilton de l’Agence Fédérale de…

- Agent spécial Hamilton, m’interrompit-il avant de se lever. Je suis un peu occupé pour le moment.

Pour un homme qui venait de se faire tirer dessus, son ton était d’un calme effrayant.

Le trch, trch, trch des cylindres rotatifs de la mitrailleuse Gatling avait été mon unique avertissement avant que la fusillade ne commence.