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De rage et de feu, Tome 1



Description ajoutée par poche 2017-07-22T15:13:54+02:00

Résumé

Présentation de l'éditeur

Dans un monde dévasté deux siècles plus tôt par une terrible guerre, les survivants se sont réfugiés derrière les murailles des Forts d’Ouest. Ils y vivent à l’abri des Enragés, des monstres assoiffés de sang qui écument les Landes Sauvages. Face à ce fléau, les chevaux-dragons sont l’unique chance de survie de l’humanité.

Sérène étouffe entre les murailles de Littoral, où elle a passé toute sa vie. Elle rêve de sortir un jour de l’enceinte du Fort pour explorer les Landes Sauvages et prendre part à la lutte contre les Enragés. Mais cet espoir lui est interdit : à Forts d’Ouest, les femmes ne peuvent ni combattre, ni quitter leur Fort natal.

Quand un Chevalier-Dragon vient mourir à ses pieds en lui confiant une mystérieuse dague, la jeune fille croit enfin tenir sa chance. Liée à la monture du défunt, elle va pouvoir quitter Littoral et rejoindre les rangs de l’Armée d’Ouest pour combattre les Enragés ! Mais avant de réaliser son rêve, il lui faudra faire sa place dans un monde d’hommes peu enclins à l’accueillir à leurs côtés. Et la dague qui lui a été confiée semble être l’objet de bien des convoitises, à tel point que la garder avec elle pourrait mettre la vie de Sérène en danger.

Pour surmonter les obstacles qui se dressent sur son chemin, la jeune fille ne pourra compter que sur sa détermination et sur Fulgure, sa dragonne au tempérament de feu.

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Classement en biblio - 6 lecteurs

extrait

Extrait ajouté par poche 2018-01-05T20:30:53+01:00

Chapitre 1

Du revers de la main, j’écarte un brin de bruyère qui me chatouille la nuque. Comme il revient à la charge, je l’attrape du bout de mes doigts et le roule en boule entre le pouce et l’index, avant de m’en débarrasser d’une pichenette. Réajustant la position de mes épaules, je m’installe plus confortablement sur le tapis d’herbe sèche et piquante. Je suis allongée dos à la pente, face à l’étendue déserte du no man’s land – le plus loin possible de la mer et de son air salé aux relents écœurants de poisson mort. Si seulement je pouvais me débarrasser de cette odeur, me dis-je en sachant bien que c’est sans espoir. Pour y échapper, il me faudrait passer de l’autre côté du fossé hérissé de piques et de la clôture barbelée qui me séparent des Landes Sauvages. Mais je suis une civile, et les civils ne sortent pas de l’enceinte du fort. Jamais. Avec un vague sentiment de colère et de frustration, je contemple avec envie la crête acérée du sommet des arbres qui, au loin, découpe le ciel orange et mauve du crépuscule. La forêt est trop éloignée du Fort pour que je distingue autre chose qu’une masse sombre, et je ne peux qu’imaginer les feuilles cuivrées frémissant sous le vent ou les troncs centenaires s’élevant vers le ciel. Depuis toujours, je rêve de voir un arbre de près. Dans le Fort, il n’y en a pas un seul. Le moindre millimètre de terrain est occupé par les baraquements et par les entrepôts de matériel de pêche. Les ruelles qui longent les bâtiments sont si étroites et bondées de monde qu’une pousse n’y survivrait pas deux heures. Et sur le no man’s land, hors des remparts, nul obstacle ne doit gêner la vue des Guetteurs. Grand-Pa, qui dans sa jeunesse arpentait les chemins de Forts d’Ouest avec son régiment, m’a raconté les sensations merveilleuses qu’il éprouvait en traversant les forêts : les rayons du soleil jouant sur les feuillages pour former des tableaux de lumière, et l’odeur de la terre gorgée d’humus. Parfois aussi, il pouvait voir un animal sauvage passer sous le nez de son cheval : une biche, un sanglier ou un lièvre bondissant par-dessus un buisson. Marcher dans les bois est un plaisir qui me sera toujours refusé. Une fille n’est pas autorisée à s’engager dans l’Armée d’Ouest, dont les combattants sont les seuls à s’aventurer hors des murs. Mon frère Baudouin a rejoint le régiment de garnison de Fort Légion l’année dernière. Je me souviens encore du jour où il a quitté Fort Littoral, bringuebalé dans un chariot au milieu des caisses de poisson séché, encadré par l’escorte de cavalerie. J’étais montée sur le toit du baraquement pour voir passer le convoi. Dévorée par l’envie, je l’avais suivi du regard jusqu’à ce que la herse se referme après le dernier cavalier. Chaque détail s’est gravé dans ma mémoire aussi solidement que dans la pierre : les sabots des chevaux claquant sur les pavés de l’allée ; les lourdes arquedisques attachées aux pommeaux des selles et les poignées des sabres dépassant de leurs baudriers. Les Escortes se préparant à affronter le monde extérieur, leurs visages étaient fermés, concentrés, prêts à réagir au quart de tour à la première attaque. Même les nouvelles recrues avaient été armées en prévision d’une rencontre possible avec des Enragés. Baudouin tenait entre ses genoux un sabre à la lame recourbée large comme sa paume. Dehors, on ne laisse pas quelqu’un sans moyen de se défendre. Je n’avais rien décelé de clinquant dans ce convoi, pas de couleurs vives ni de décorations rutilantes. Les Escortes voyageaient vêtus d’uniformes aux couleurs ternes, usés jusqu’à la corde. Le harnachement de leurs montures était sommaire et fait d’un cuir cousu et recousu. Sous mes yeux avaient défilé des soldats à l’image de notre monde sinistré et à court de ressources. D’humeur soudain mélancolique, je soupire à ce souvenir doux-amer. Je ne reverrai pas mon frère avant des années, quand il aura effectué ses vingt ans de service et s’il n’est pas mort d’ici là. Sa vie à Fort Légion doit être mouvementée, et le danger quotidien, pourtant que ne donnerais-je pas pour prendre sa place ! En plus de me permettre de respirer un autre air, ce serait pour moi l’occasion de quitter enfin les baraquements surpeuplés que je partage avec mon père et des centaines d’autres Littoraliens. À l’approche de la nuit, les bruits du Fort se sont atténués. Les gens sont rentrés chez eux pour se claquemurer derrière les volets clos de leurs dortoirs. On n’entend plus que le souffle monotone de l’océan, et, dans la crique, le clapotement des vagues qui frappent inlassablement la coque des bateaux. Je me laisse envahir par le silence et me love dans une douce gangue de quiétude. Comme tous les soirs, je suis seule sur le no man’s land : derrière moi, les épaisses murailles du Fort, devant moi, les barbelés, et rien d’autre que les hautes herbes battues par le vent pour me tenir compagnie. Même les rondes du Guet se sont arrêtées au crépuscule et ne reprendront qu’au petit matin. C’est un étonnement sans cesse renouvelé de constater que hormis moi, personne ne s’aventure sur la lande à la nuit tombée. Pourtant, le danger y est minime. Les Enragés ne se montrent jamais la nuit, alors pourquoi ne pas profiter de cette vaste étendue inoccupée ? Après une journée passée à m’user les mains sur les lourds filets de pêche, j’aime m’y reposer, au calme, et sans muraille oppressante pour me barrer la vue. Dans l’enceinte du Fort, quelque soit la direction vers laquelle se tourne notre regard, un pan de mur est toujours là pour nous rappeler que l’on vit enfermé. Au loin, un cri retentit. Un hurlement strident, inhumain. Je pose un coude sur le sol, les sens en éveil, prête à me relever pour courir vers la porte du poste de garde. Mais ce n'était pas le cri d'un Enragé. Quoi, alors ? Une bête sauvage ? La nuit est trop sombre à présent pour que je puisse voir au-delà de la clôture. Quelque part du côté de la forêt, une lueur rougeoyante illumine brièvement le ciel nocturne. La flamme d'un cheval-dragon ? Mais les patrouilles ne sortent que rarement après le crépuscule, et je sais que l’arrivée du prochain convoi n'est prévue que dans deux jours. Il n'y a aucune raison pour qu'un Chevalier se promène dans les parages. Intriguée, je reste assise sur la pente, aux aguets. De nouveau, un flamboiement éclaire la nuit. Puis plus rien. J'attends encore quelques instants, mais comme rien ne se passe, je décide de rentrer au baraquement. S'il a entendu le cri, Pa doit être inquiet de me savoir dehors, et je ne voudrais pas qu'il me fasse une scène. Nos disputes se finissent trop souvent par une concession de ma part, car je ne supporte pas longtemps la vue de ses yeux mouillés de larmes et de ses mains tordues par l'inquiétude. La dernière fois, je lui ai promis de ne plus jamais passer la nuit dehors. Alors, je n'y passe plus que mes soirées. Je m'apprête à toquer à la porte du poste de garde quand un bruit attire mon attention, derrière moi – un flappement cadencé, de plus en plus proche. D'un bloc, je me retourne. Une ombre indistincte rougeoie dans le noir, quelques mètres au-dessus du sol. Je devrais avoir peur, et fuir. Mais je ne ressens qu'une curiosité irrésistible. L'ombre flamboyante s'approche et descend vers le sol, précédée d’un léger souffle chaud. Je distingue la forme crénelée d'une aile de cheval-dragon, illuminée par le sang de feu qui court dans ses nervures. La bête se pose à quelques pas de moi. Je la vois maintenant presque comme en plein jour. Dans l'obscurité, elle luit comme une braise prête à s'enflammer. De ses naseaux frémissants s'échappent deux corolles de fumée, et au fond de ses yeux sombres brille une étincelle rouge. Sa robe brune est marbrée de reflets cuivrés, ses sabots sont striés de veines orangées. Les yeux écarquillés par l’émerveillement, je reste immobile, comme paralysée par l’émotion. Un cheval-dragon ! Ici, à Fort Littoral, et à quelques pas de moi ! Stupéfaite, je le contemple sans oser en croire mes yeux. Il est d’une beauté à couper le souffle, radieuse et terrifiante à la fois. Mon corps tout entier palpite d’enthousiasme. Un gémissement attire mon attention et me tire de mon état presque hypnotique. Sur le dos de la créature ailée, je distingue la silhouette affaissée d’un cavalier. Un Chevalier-Dragon ! Gênée de l’avoir ignoré, je m'apprête à lui faire le salut d’usage dû aux officiers de cavalerie. C’est alors qu'il glisse du dos de sa monture et chute lourdement sur le sol. Je le fixe un instant, interloquée. Dois-je lui porter assistance ? D'ordinaire, il me serait défendu de toucher à un Chevalier-Dragon, et encore moins de lui adresser la parole. Mais celui-ci semble plutôt mal en point. Je ne vais pas le laisser crever là par respect des convenances. Je m'agenouille à ses côtés. Son cheval-dragon a déjà incliné sa longue tête pour lui souffler sa vapeur dans le cou. On dirait que cette bête s'inquiète pour son cavalier, me fais-je la remarque, étonnée. Le Chevalier est tombé sur le ventre, le nez dans l'herbe. Il est vivant, car son dos se soulève au rythme de sa respiration, et j’entends un râle sourd s’échapper de ses poumons. J'agrippe son lourd manteau de cuir pour le retourner, ce que je ne parviens à faire qu'après avoir solidement planté un pied dans le sol – le bougre n'est pas léger, avec son barda de cavalier. Quand il est sur le dos, je détache son baudrier, et, l’ayant ainsi débarrassé du poids de son sabre, je peux lui relever suffisamment le buste pour glisser sous son cou mon foulard roulé en boudin. À la lueur du cheval-dragon, je l'examine rapidement. L'homme est jeune, âgé peut-être d'une trentaine d'années. Ses cheveux bruns dénoués sont plaqués sur son visage par la sueur. Il me paraît mal en point – agonisant. Son flanc sanguinolent est déchiré d'une plaie nette, tandis qu’un trou gros comme une noix a percé son épaule de part en part. Ce sont de curieuses blessures, pour un Chevalier-Dragon. Elles ne ressemblent en rien à celles infligées par les crocs des Enragés. Pas de chair arrachée, pas de membre sectionné. Je ne suis pas médecin, mais il m’est arrivé de voir des blessés à Fort Littoral, tant les rixes y sont fréquentes. Ces plaies évoquent davantage des blessures provoquées par des armes humaines : une lame pour la plaie, la balle d’un mousquet ou une flèche pour le trou dans l’épaule. Je déchire les bras de ma chemise et, tout en improvisant un bandage sommaire, je me demande à qui s'est frotté ce blessé. Qui pourrait bien vouloir attaquer un cheval-dragon et son cavalier ? Le corps des Dragons se consacre exclusivement à la lutte contre les Enragés, et il n’intervient jamais dans les troubles de l’ordre public. Aucune raison, donc, pour que ce Chevalier ait été mêlé à un combat entre humains – à moins qu’il ne s’agisse d’un conflit d’ordre personnel ? Le voilà maintenant qui entrouvre la bouche pour parler. — Ma toute belle... (Je me dresse sur mes ergots, piquée au vif par cette familiarité incongrue. Puis je vois le cheval-dragon qui approche sa tête fumante, et le Chevalier qui lève une main tremblante pour lui caresser les naseaux. Ce n'est donc pas à moi qu'il s’adresse, mais à sa monture.) Elle n’a pas fui, continue-t-il dans un râle pitoyable. Elle est parfaite. Eh bien ! Il semble tenir à sa jument, ce pauvre homme. Alors même que la mort le guette, il trouve la force de lui adresser un dernier compliment. — Je vais chercher de l'aide, lui dis-je en essayant de ne pas laisser transparaître le peu d'espoir que j'ai en sa survie. Mais il m'arrête d'un signe de la tête. — Inutile. Je n'en ai plus pour longtemps. Approchez, plutôt. Étonnée de sa requête et un peu méfiante, je me rapproche. Il fouille son manteau, et finit par en ressortir un petit objet effilé. Quand il le lève suffisamment haut pour qu’il soit pris dans le halo lumineux du cheval-dragon, je constate qu’il s’agit d’une courte dague, à peine plus longue que ma main. — Prenez là, dit le chevalier-dragon en me tendant le poignard. J’hésite à prendre l’arme dans sa main flageolante. La poignée en est ornée de pierres brillantes, insérées dans un métal doré qui pourrait bien être de l’or. C’est un objet de luxe, d’une valeur sans doute inestimable tant les joyaux sont devenus rares dans notre monde. — Souhaitez-vous que je fasse porter cette dague à votre famille ? Les épaules de l’homme tressautent, agitées par un rire nerveux. Son hilarité est de courte durée : une grimace de douleur remplace vite l’ébauche de sourire qui s’était formée sur son visage. — Non, répond-il d’une voix sifflante. Ma seule famille est ici. (Étrange. J’ai beau me creuser les méninges, je ne me rappelle aucune famille de Littoral comptant dans ses rangs un Chevalier-Dragon. À coup sûr, cela ne m’aurait pas échappé.) Gardez-là précieusement. Elle est à vous. — Mer… Merci, dis-je platement. Avec toute la délicatesse dont je suis capable, je prends l’arme des mains du Chevalier. Elle est plus lourde que les couteaux que j’ai l’habitude de manier pour trancher les filets de pêche ou éventrer les poissons. L’éclat rougeoyant du cheval-dragon se reflète sur les facettes des pierres précieuses qui la décorent. De mon pouce, je teste le tranchant de la lame – elle est un peu émoussée, mais le dessin pentagonal de son profil me frappe par son originalité. Ça n’est pas une arme commune. Si je vendais ce couteau, j’amasserais suffisamment d’argent pour mettre ma famille à l’abri du besoin pendant des années, et jamais plus je ne serais contrainte de travailler au port de pêche. Je me délecte quelques secondes de cette idée : plus de poissons à dépecer, plus de filets à recoudre. Mais un coup d’œil au jeune homme allongé sur le sol me dissuade de continuer plus loin dans ce rêve illusoire. Si ce Chevalier-Dragon aux portes de la mort m’a confié son arme, ce n’est pas pour que je m’en débarrasse en la mettant aux enchères au prochain convoi. Gardez-là, m’a-t-il dit. À ses yeux, cet objet a plus d’importance que sa valeur marchande, et je ne trahirai pas le dernier souhait d’un mourant. Avec un gros soupir, je dis adieu à mes rêves de fortune – dommage, mais l’honnêteté vient avec quelques inconvénients. Le Chevalier respire de plus en plus difficilement, et chaque inspiration lui arrache une grimace de douleur. Il m’attrape le bras et pose sa main sur le dos de la mienne, celle qui tient la dague. Je sens ses doigts tremblants qui s’entrelacent aux miens et les serrent contre le pommeau de la dague, comme s’il voulait me faire prendre conscience de l’importance de celle-ci. En même temps, la dragonne tend vers moi sa tête fumante, et elle semble me transpercer de ses yeux étincelants. — Et… prenez-en… bien soin, émet le mourant en butant sur chaque mot. — Comptez sur moi, chevalier, dis-je en passant la dague à ma ceinture. Je n’ai pas fini ma phrase que déjà les traits du chevalier-dragon se sont figés. Il fixe le ciel de ses yeux grands ouverts, une expression de souffrance encore gravée sur son visage inanimé. Maintenant que la vie a fui son corps, il semble plus jeune encore, et d’une fragilité déchirante. Doucement, je lui ferme les yeux. Une larme me coule le long de la joue. Je suis prise d’une tristesse inattendue devant la mort de cet homme dont je ne connais pas même le nom. Quel évènement l’a conduit ici pour s’éteindre aux côtés d’une inconnue, loin de son régiment et de ses proches ? Les Chevaliers-Dragons sont nombreux à laisser la vie dans les combats contre les Enragés. Mais je m’imaginais des morts plus glorieuses, en plein cœur de l’action – pas de lentes agonies solitaires comme celle que vient de subir ce jeune combattant. Le cheval-dragon pose le bout de son nez sur le corps inerte de son cavalier. Il ferme les yeux. Un gémissement sourd s’échappe de sa gorge, tandis que ses ailes translucides vibrent à l’unisson de son cri. La bête pleure la mort de son maître. Dans un élan de compassion, je pose une main sur l’encolure frémissante du cheval-dragon et aussitôt une vague de désespoir déferle en moi et me submerge. Je suis engloutie dans un tourbillon d’émotions qui ne sont pas les miennes : chagrin, révolte, solitude. Dans un mouvement réflexe, je bondis en arrière et la déferlante cesse dès que ma main perd le contact avec la peau de l’animal. Éberluée et encore sous le choc, je réalise que je viens de ressentir les émotions du cheval-dragon. Des sentiments si proches de ceux que ressentirait un humain, dans la même situation ! Cette… bête n’est-elle réellement qu’un animal ? Je l'examine avec circonspection. Ce que j'ai ressenti était plus fort que ce qu'un cheval ordinaire peut éprouver à la perte de son cavalier j'en suis persuadée. Dans mon enfance, je passais de longues heures à l’écurie du Fort, à m’occuper des deux chevaux gris utilisés pour tirer les filets de pêche à la crevette. Malgré leur gentillesse et leur goût évident pour les gratouilles, je n'ai jamais décelé en eux autre chose qu'un intérêt poli pour l'espèce humaine. Rien, en tout cas, qui approche la force des sentiments de ce cheval-dragon. La découverte de cette sensibilité bouillonnante chez le cheval-dragon me perturbe, pourtant je dois m'arracher à mes réflexions. Il fait nuit noire, et si je ne rentre pas bientôt, Pa va sortir de son lit pour partir à ma recherche. Je n’aime guère l’idée de le voir errer dans les allées du Fort, criant mon nom d’une voix étranglée par l’inquiétude, sous les regards exaspérés des habitants cachés derrière leurs volets. Sans compter qu’il me faut aussi prévenir le guet que le corps sans vie d'un Chevalier-Dragon gît sur le no man's land. Il ne peut être abandonné ici, pour se décomposer au pied des murailles comme un vulgaire Enragé. Je frappe trois coups à la porte, selon un code convenu au préalable avec les gardes. Le judas s'ouvre sur le visage avenant de Ronan, le soldat de faction à cette heure de la soirée et l’un de mes amis proches. Me reconnaissant, il ouvre sans tarder le lourd battant de la porte blindée. — Entre, Sérène. Toujours souriant, il se met de côté pour me laisser le passage. Avant de franchir le seuil, je me retourne vers le cheval-dragon, dont la silhouette scintille dans la nuit. La dragonne est toujours penchée au-dessus du cadavre de son cavalier, son calme retrouvé et indifférente à ce qui l’entoure. Son sang incandescent pulse plus faiblement au rythme de ses respirations. Elle a cessé de gémir, et si je n'avais posé la main sur elle tout à l'heure, rien ne me permettrait de deviner les émotions qui l'agitent. Avant d’entrer dans la petite salle du poste de garde, je lui lance une parole réconfortante. — On va venir s'occuper de toi. À l’intérieur, Ronan a écarquillé les yeux en apercevant la créature ailée. Il ouvre et referme la bouche plusieurs fois d'affilée, comme un poisson jeté hors de l'eau. — Qu'est-ce que c'est que ça ? s'exclame-t-il avec une frayeur perceptible. — Un cheval-dragon, dis-je, étonnée qu'il n'ait pas reconnu l'animal flamboyant dans l’obscurité. Ça me semble évident. — Mais... Mais que fait-il là ? Ronan a peur. Cela se voit à ses pupilles dilatées et à ses mains qui cherchent fébrilement son arme, posée sur un coin de la table. Il l’attrape et, le sabre au clair, recule d’un pas, renversant au passage un tabouret. Est-ce le cheval-dragon qui l’effraie à ce point ? Surprenant. Pas un instant je n'avais pas envisagé une telle réaction de sa part. Je connais Ronan depuis ma prime enfance, quand nous partagions un banc à l’école du Fort. En compagnie de mon frère Baudouin, nous faisions alors les cent coups au milieu des bateaux de pêche, grimpant dans les voilures et narguant les vieux pêcheurs aigris par les années de mer. Il n’était pas rare que nous passions de l’autre côté du filet de protection du port pour nager dans les eaux profondes de la crique. Nous frémissions d’une peur excitante à l’idée qu’un peu plus bas, un Enragé arpentait peut-être les fonds marins, ses crocs avides cherchant des proies hors d’atteinte. Nous étions jeunes, idiots, et le temps de l’insouciance est révolu depuis longtemps. Mais avant aujourd’hui, Ronan ne m’avait jamais fait l’effet d’être un pleutre. Je ne comprends pas son attitude timorée : à son âge et en tant que soldat, il devrait savoir qu'un cheval-dragon est dévoué au service des humains, et que jamais il ne leur ferait de mal. Je tente de lui expliquer la situation : — Son cavalier est mort. Assassiné, si j’en juge d’après ses blessures. (Je n’aurais pas dû dire ça. Ronan tressaille, et se crispe plus encore.) Il faut alerter tes supérieurs, et faire quelque chose pour le corps. Mon ami d’enfance reste là les bras ballants, à fixer bêtement le cheval-dragon au travers de l’encadrement de la porte. Il ne fait pas mine de réagir. Agacée par sa mollesse, je lui agrippe le bras. — Ronan ! Il faut prévenir le commandant. Et le croque-mort. Je t’ai dit qu’il y a un cadavre derrière la porte. — Oui, dit-il en émergeant enfin de sa torpeur. Bien sûr. Mais cela devra attendre demain matin, pour le commandant. A cette heure-ci, il roupille sec et je ne voudrais pas être celui qui le réveillera. Parfois, il m'arrive d'avoir des envies de meurtre. Et dans ce cas précis, je prendrais bien le bâton posé près de l'entrée pour frapper la caboche pleine de vent de ce benêt de Ronan. Je respire profondément, me force au calme. Reste zen... — C'est un CHEVALIER-DRAGON qui est mort, triple imbécile ! (Je hurle presque ; il se pourrait bien que j’aie perdu mon sang-froid.) N'as-tu donc aucun sens des priorités ? S’il a été assassiné, c’est une affaire de la plus haute importance. Mon accès de fureur n'a pas l'effet escompté. Ronan n’a pas bougé et une moue de mépris déforme maintenant son visage. — Qu'est-ce qui te prend, Sérène ? braille-t-il soudain. Tu n'es qu'une civile, alors ne t'avises plus jamais de me parler sur ce ton ! Ou j'en référerai à mes supérieurs, et ce sera la fin de tes petites escapades nocturnes. Abasourdie, je le fixe sans comprendre ce qui m’arrive. Ce ne peut être mon ami Ronan qui me parle ainsi. Car lui ne m’aurait pas lancé à la figure mon état de civile pour le retourner contre moi. Il ne m’aurait pas insultée en usant d’un argument aussi bas. C'est indigne de l’ami que je croyais connaître – tellement minable que je ne trouve pas les mots pour lui répondre. Il sait pourtant que si j’avais eu le choix, je l’aurais rejoint dans les rangs de l’Armée d’Ouest. Une rage froide me glace le corps. — Très bien, dis-je. Fais ce que bon te semble, Monsieur le Militaire. On verra demain matin ce qu'en pense le commandant. Sur quoi je quitte le poste de garde en claquant la porte derrière moi. Je me retrouve dans l'allée étroite qui borde la première ligne des baraquements. J'ai la nausée et une fureur noire menace de me submerger. Pourquoi Ronan, mon plus vieux camarade, s'est-il comporté de la sorte ? Je tente d'analyser la situation en prenant un peu de recul. Certes, je me suis emportée contre lui de façon un peu brutale, mais ce n'est pas la première fois. Ce qui était nouveau, en revanche, était de le voir si apeuré. Alors que je ne l'étais pas. Serait-ce parce qu’il avait honte de sa faiblesse qu’il a fait valoir son statut prétendument supérieur au mien, pour se rattraper ? Peut-être, mais cela n’excuse rien. Est-ce ma faute, s’il prend peur d’un cheval ? Après une courte marche dans les ruelles éclairées du seul éclat de la lune, j'arrive à mon baraquement et monte au dortoir du premier étage. A l'intérieur, le silence règne. Les pêcheurs se lèveront bien avant l'aube pour sortir en mer, et l'ensemble des travailleurs s'adapte à leur rythme : lever aux aurores, coucher avec les poules. Les rideaux sont rabattus sur les couchettes, préservant l’intimité de leurs occupants que seuls quelques ronflements sonores trahissent. Je marche à pas de loup jusqu’au compartiment que je partage avec Pa. Je soulève le rideau, priant pour qu’il ne soit pas éveillé et n’ait pas noté mon absence. Non. Il dort paisiblement sur la couchette du bas, avec le même sifflement régulier que tous les soirs. Le cri de tout à l’heure ne l'a pas réveillé, et je décide de ne pas le tirer du sommeil. Je me serais volontiers confiée à lui pour m’exorciser de la rage qui me dévore, mais ce serait d’un égoïsme stérile : Pa n'aurait ni le courage d'aller trouver Ronan pour lui faire ravaler ses paroles, ni les mots pour me consoler. Cela n’aurait pour conséquence que d’ajouter un souci de plus à la liste interminable de ses tracas. Peut-être lui parlerai-je, demain, du Chevalier-Dragon et de son étonnante monture ? Inutile. Mieux vaut éviter de lui confier que j’ai été mêlée à la mort d’un soldat. Il apprendra demain, avec le reste du Fort, qu’un cheval-dragon a pris ses quartiers sur le no man’s land, et ce sera bien suffisant. Je grimpe sur la couchette du haut et me glisse entre les draps froids de mon lit, sans prendre la peine de me déshabiller – demain je serai debout avant le chant du coq, dans quelques heures à peine. En dépit de la fatigue accumulée au long de la journée, le sommeil ne vient pas. Je me roule sur la gauche, puis sur la droite, et de nouveau sur la gauche, sans parvenir à me détendre. Dans le silence du dortoir, l’écho des paroles de Ronan résonne encore à mes oreilles, et la moindre parcelle de mon corps vibre d'une colère intarissable. Grand-Pa m'a souvent raconté qu'autrefois, avant les Enragés, les femmes étaient autorisées à combattre au côté des hommes. — Les femmes de cette époque étaient en tous points l’égale des hommes, Sérène, me répétait Grand-pa. Au prix de longues et pénibles batailles, elles avaient gagné le respect des hommes. Je tentais d’imaginer ce monde merveilleux, où les filles comme moi avaient leur destin en main. Une époque de légende… Et une page glorieuse de notre histoire qui a pris fin avec l'apparition des Enragés. Après les premiers massacres, quand l’humanité s’est retranchée derrière les remparts de villes fortifiées, les droits acquis par mes ancêtres ont été remis en cause. Peu à peu elles ont été chassées des postes de responsabilité, et de l'armée. — Si un jour tu parviens à faire bouger les choses dans le bon sens, n’oublie pas cela, commentait Grand-père en ébouriffant mes cheveux de sa main calleuse. Ce n’est pas parce qu’elles se sont améliorées que tu as gagné. En disant cela, il me couvait d’un regard un peu fatigué, mais débordant d’optimisme. Je lui souriais en retour, confiante en l’avenir, persuadé que, oui, j’allais faire bouger les choses. Je n’allais certainement pas passer ma vie enfermée ici, à dépiauter du poisson et à regarder la forêt de loin. Et me voilà aujourd’hui, rabaissée plus bas que terre par un blanc-bec que je croyais mon ami, qui tente de couvrir sa lâcheté en se réfugiant derrière des lois qui jouent en ma défaveur. Je soupire amèrement. Si je veux pouvoir dormir un peu cette nuit, je dois mettre de côté ma colère et penser à des choses plus agréables. Et le sujet est tout trouvé – n’ai-je pas rencontré ce soir un splendide cheval-dragon que l’on dirait sorti tout droit du cœur d’un volcan ? Cela aurait pu n’être qu’un rêve, si je ne sentais pas sur ma hanche le métal froid d’une dague hérissée de pierres précieuses. Implacable, j’écarte de mes pensées le malheureux Chevalier qui s’est éteint dans mes bras, pour me laisser envahir par la vision réconfortante de sa monture ailée. Je m’endors doucement, réchauffée par les images du cheval de feu.

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Commentaire ajouté par Lulucianna 2020-08-22T14:49:44+02:00
Argent

Sérène est un personnage que j'ai beaucoup appréciée ! Elle est têtue, a mauvais caractère, sait ce qu'elle veut et n'hésite pas à se battre pour l'obtenir !

De plus, sa lutte pour une égalité homme-femme reste un sujet d'actualité qui me parle beaucoup et qui me tient à coeur !

L'idée des chevaux-dragons est vraiment très cool !

J'ai trouvé la fin un peu précipitée et c'est dommage. J'aurai voulu voir plus en détails l'évolution de la relation entre Sérène et Silvère. J'aurai voulu que le trajet du retour soit raconté...

Ce roman manquait d'une fin à proprement parler mais sinon il était facile et agréable à lire !

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Commentaire ajouté par caizy 2018-03-05T18:21:53+01:00
Argent

J'aime les chevaux, j'aime le fantastique, donc dès que j'ai vu en promo ce roman, je me suis précipitée !

Il y a beaucoup de bonnes choses : on suit Sérène qui n'a pas froid aux yeux (c'est le moins qu'on puisse dire !) d'ailleurs parfois j'ai trouvé qu'elle allait trop loin, en même temps pour survivre dans son milieu, je peux comprendre certaines de ses réactions que je ne cautionne pas pour autant. Les décors sont vraiment bien décrit sans tomber dans la lourdeur ou l'excès, on a l'impression d'y être.

L'intrigue est sympa même si j'aurais aimé qu'on approfondisse les motivations des 'traîtres'. J'ai trouvé que ça arrivait un peu comme un cheveu sur la soupe.

Enfin j'ai été surprise par la fin qui ne fait pas 'fin de roman' je trouve mais 'fin de chapitre', c'est un peu brutal aussi, un épilogue aurait adouci tout ça.

Mais cela ne m'a pas empêché de passer un très bon moment de lecture !

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Activité récente

poche le place en liste or
2017-08-01T15:36:10+02:00

Les chiffres

lecteurs 6
Commentaires 2
extraits 1
Evaluations 3
Note globale 8 / 10

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