Extraits

— Tu ne m’as pas rejetée. Tu venais juste de me baiser, connard !

— Je sais ça. Mais tu t’es sentie rejetée, non ? Si j’étais venu te voir il y a deux semaines, tu te sentirais toujours de la même manière.

— Alors tu as attendu deux semaines pour qu’à la place, je sois furieuse contre toi ?

Il hausse les épaules.

— La fureur est plus facile à maitriser.

« – Tu me surprends, Sloane. Et j’aime être surpris, gronde-t-il.

– Eh bien, tu m’as également surprise mais je ne peux pas dire que la réciproque soit vraie.

Il rit. Sa voix est si profonde et puissante que je la sens résonner jusque dans mes pieds.

– Tu devrais t’ouvrir un peu plus. Tu ne sais pas ce qui pourrait te procurer du plaisir avant de l’avoir essayé.

– Je sais parfaitement ce qui me procure du plaisir, Zeth, et me tenir au milieu d’une cinquantaine de personnes à moitié nues en train de se peloter n’en fait pas partie.

Une lueur d’irritation danse dans ses prunelles quand je prononce son nom. Il s’avance vers moi et tend sa main, effleurant ma mâchoire du bout de ses doigts. Mon immobilité le laisse pensif et intrigué tandis qu’il touche ma peau. Je suis incapable de bouger.

– Si tu n’aimes pas regarder, Sloane, tu peux participer. »

— Ne fais plus jamais ça, dit-il.

Il secoue la tête, me regardant comme si j’avais perdu la tête.

— Ne m’embrasse plus jamais. 

— Voici le monde dans lequel je vis. C’est un monde où les gens se font régulièrement poignarder et tirer dessus. C’est un monde qui fait peur. Des gens meurent. Si ta sœur a été aspirée dans ce monde, crois-tu vraiment qu’elle ait pu y survivre ? 

Je le gifle si fort que ma paume me fait vraiment mal. Quand Zeth tourne à nouveau sa tête vers moi, en un mouvement considérablement lent, je suis déjà en train de paniquer. Un filet de sang coule de sa lèvre inférieure, là où je l’ai frappé. Mon cœur manque un battement, il a déjà bien compris que j’avais commis une erreur stupide. Une erreur terriblement stupide.

— Je pensais que tu ne voulais pas jouer, Sloane, grommelle-t-il.

Il n’a pas lâché ma main et fait quelques pas en arrière, m’entraînant avec lui dans la chambre. Je n’ai jamais été aussi effrayée de toute ma vie. 

J’ai tout de suite vu que Sloane était un petit oiseau blessé. Une beauté discrète. Elle a de superbes yeux marron lumineux et des cheveux bruns ondulés. Cependant, c’est tout le conflit que je pouvais deviner dans son regard qui a capté mon attention. Elle m’a fasciné en moins de dix secondes top chrono. 

Le craquement des os brisés par le métal, le bruit des muscles se séparant de la peau ne sont pas quelque chose auquel on s’habitue, mais dans des occasions comme celle-ci, je m’autorise à éprouver un peu de plaisir. Juste un petit peu. Après tout, on doit toujours essayer d’apprécier son travail et la douleur a tendance à réveiller mes mauvais côtés.

Il reste là assez longtemps pour que je puisse voir ses cheveux bruns, légèrement décoiffés et ses lèvres se contracter en une moue.

Il quitte la chambre.

Je n’ai jamais su son nom. 

— Est-ce que tu es une gentille fille ?

— Oui, soufflé-je.

Il ne me répond pas. Il ne me dit pas non plus ce qu’il va faire. L’objet froid et pointu qu’il passe sur ma peau remonte jusqu’à ce qu’il soit positionné juste sous ma poitrine. Je prends de longues inspirations, essayant de ne pas bouger, car j’ai compris ce qu’il avait dans sa main. Un couteau. Un putain de couteau tranchant.

Quand je dis que je suis un fantôme, ce n’est pas juste une métaphore.

Je suis bien vivante. Ou tout du moins, certains jours, la douleur est si intense que je sais que mon cœur bat toujours dans ma poitrine. Mais quand je dis que je suis un fantôme, c’est parce que je suis invisible aux yeux de la plupart des gens. Je suis la fille en arrière-plan. Je suis cette femme à la taille moyenne, au poids moyen, à la couleur de cheveux quelconque, celle sur qui les yeux ne s’attardent jamais.  

Je traverse silencieusement la ville endormie dans laquelle je vis, sans esquisser le moindre sourire. Sans avoir à dire bonjour aux autres pendant plusieurs jours d’affilée. Cela fait six mois que c’est comme ça. Il est assez rare que j’aie besoin de parler à des étrangers et quand je le fais, c’est superficiel. Les gens savent instinctivement que je n’aime pas faire la causette. Aujourd’hui ne fait pas exception à la règle.

— Voici la clé de votre chambre, madame Fredrich, m’indique la réceptionniste de l’hôtel Marriot, situé dans le centre-ville de Seattle. Elle pose une carte magnétique sur le comptoir en marbre et la glisse vers moi. Une fois qu’elle a retiré sa main, j’avance la mienne et récupère la clé.

— Merci.

Les yeux baissés, elle agrafe les feuillets générés par mon arrivée.

— Vous êtes ici pour le travail ou pour le plaisir ? La chaleur de son regard s’éteint quand elle pose finalement les yeux sur moi et remarque le regard morne que j’arbore. Son sourire disparaît de son visage aussi vite que de la neige au soleil.

— Pour le travail, lui dis-je. Après tout, c’était la stricte vérité.