L'Embaumeur, Tome 4 : Deadline à Ouessant

Il flottait sur l'océan Atlantique. Le bateau, l'Eunez Eussa 3, navette quotidienne entre Brest, Le Conquet, Molène et l'île d'Ouessant, gîtait. Deux voyageurs, petits hommes devenus verts, maudissaient les cieux, la mer, rendaient leurs tripes à la grande bleue. Luc Mandoline s'étonnait toujours autant de la violence d'un estomac, de ce mécanisme inouï, ce réflexe viscéral qui se mettait en marche face à une mer agitée. Ça l'épatait. Vraiment. Il se tenait debout et goûtait la pluie de la Bretagne, le vent, les embruns, les couleurs. Il aimait cette confrontation avec les éléments, cet appel du large, invitation à la méditation. Le navire accosta une heure après son départ du plancher des vaches du Conquet. Luc Mandoline salua les deux marins qui faisaient office de portiers et géraient le départ des passagers du bateau. Il se passa la main dans les cheveux mouillés tout en marchant vers le parking où régnait l'habituelle animation des arrivées, embrassades heureuses et premiers regards curieux sur le décor sauvage du caillou breton. Ouessant, Finistère, île minuscule. Il se rapprocha du car qui engloutissait les arrivants. Les gestes mécaniques du chauffeur trahissaient son habitude. L'homme était rompu aux arrivées des gens du continent, au chargement de son véhicule. Il prenait les valises qu'on lui tendait, les glissait dans la soute, égalisait les rangées. La pluie giflait les touristes et les autochtones sur le parking, près du quai. Ils attendaient leur tour, observaient le manège du conducteur, souriant, chauve, barbichette couleur d'écume. Le pilote dévisagea Luc Mandoline qui gardait ses deux valises à la main et son sac à dos.

- Vous allez où, monsieur ?

- Kéo, une chambre d'hôte, à Lampaul. C'est loin d'ici ?

- Quatre kilomètres, une heure à pied, une poignée de minutes en car. C'est deux euros le voyage, trois cinquante l'aller-retour.

- Pas d'autres solutions ?

- Si, le footing ou les bicyclettes là-bas, avant la route, sur votre gauche.

Le chauffeur désigna une silhouette, une femme blonde en compagnie de deux ados d'une quinzaine d'années.

La pluie eut le dernier mot. Luc grimpa dans le car, précédé par un couple de routards à la peau tannée, cheveux courts, idées longues, yeux clairs. Il prit place derrière un groupe d'enfants trisomiques dont l'un tendit sa main gauche, paume ouverte, façon check. Luc Mandoline tapa dans la main de l'ado qui lui rendit un sourire et planta ses yeux dans les siens.

- T'es le fils de qui ? dit l'enfant.

- Le fils de Petit Scarabée, chuchota Luc.

- Le fils de Petit Scarabée ?

- Oui.