Extraits

Hommes et femmes fuyaient devant eux, hurlants et reconnaissant enfin combien ils avaient été fous de rester.

- Sacrebleu de sacreblotte! s'éleva le cri familier.

Pony aperçut frère Avelyn fermement crampé devant les géants.

L’esprit du démon glissa de ses ennemis aux suppôts qu’il allait rassembler. Quelles créatures pourrait-il appeler cette fois pour mener sa guerre ? Les vicieux gobelins, évidemment, pleins de colère, avides, qui se délectaient du meurtre et du conflit ; les géants fomorians des montagnes, qui, même s’ils n’étaient pas nombreux, avaient chacun la force de douze hommes et une peau trop épaisse, trop résistante pour n’importe quelle dague. Et les powries, aussi. Oui, les powries, ces nains belliqueux et rusés des Julianthes, les îles Érodées, qui haïssaient les humains plus que tout autre peuple. Quelques siècles plus tôt, les powries dominaient les mers à bord de leurs bateaunneaux ventrus, bien plus solides que les vaisseaux des hommes, comme les powries eux-mêmes étaient bien plus coriaces que les piètres humains.

Un filet de bave coula des lèvres du dactyl alors qu’il considérait ses alliés passés et à venir, son armée de fléaux. Tribu après tribu, race par race, il les attirerait dans son giron, et ses rangs grossiraient comme la nuit croît lorsque le soleil, à l’ouest, vient toucher l’horizon. Le crépuscule de Corona était à portée de main.

Le dactyl s’était éveillé.

— Les gobelins reviennent toujours chercher leurs morts, expliqua-t-elle fiévreusement.

— Qu’est-ce que tu en sais ? interrogea Elbryan, dubitatif.

La fillette parut blessée par son ton. Elle baissa les yeux et se mit à donner de petits coups de pied dans la poussière.

— Ma grand-mère le sait, répondit-elle, soudain penaude.

Elbryan se sentit stupide de l’avoir mise si mal à l’aise. La bande entière était silencieuse, suspendue à ses lèvres.

Pony le poussa durement du coude. Elle lui avait souvent répété que Kristeena serait très bien pour lui ; la jeune fille, ne considérant pas une fillette de dix ans comme une rivale, trouvait l’idée charmante.

— Oui, elle doit très probablement savoir, répondit Elbryan. (Kristeena releva les yeux, soudain rayonnante.) Et cela semble plausible. (Il se tourna vers la resserre. Tous les jeunes enfants se coulèrent autour de lui, suivant son regard. Après un silence, il termina :) En effet, si les gobelins reviennent, il nous faut être prêts.

Il regarda Pony et lui lança un clin d’œil, mais fut surpris de la voir répondre par un froncement de sourcils.

Peut-être était-ce plus qu’un jeu.

À ce stade, les phalanges du garçon étaient devenues blanches ; les muscles de sa mâchoire, tendus, saillaient sous la peau. Songeant qu’il devait absolument parvenir à se contrôler, à laisser passer les insultes, il entreprit de lui tourner le dos ; mais, avant même qu’il ait fini son demi-tour, Tuntun lui assena un coup d’arc derrière la tête.

Elbryan pivota vers l’elfe en lui lançant un large crochet du gauche et la manqua misérablement, Tuntun s’étant accroupie devant le coup aisément prévisible pour lui lancer en succession rapide deux coups de pied au creux des genoux.

Elbryan tituba de quelques pas et se campa sur ses jambes. Tuntun, jetant son arc de côté, leva ses deux mains libres en lui faisant signe d’approcher. Le garçon s’immobilisa. La forêt était devenue complètement silencieuse. Juraviel ne faisait pas un geste pour lui indiquer la façon dont il devait agir.

Comprenant donc que cela dépendait de sa seule décision, il s’accroupit, bras tendus pour tester son équilibre, et attendit – longuement, patiemment – jusqu’à ce que Tuntun commence à se détendre. Alors, il bondit comme un chat sur sa proie.

Ses mains se refermèrent sur le vide. Il ne vit même pas que l’elfe n’était plus en face de lui, du moins jusqu’à ce qu’il perçoive un battement d’ailes dans son dos, très vite suivi d’une série de coups de poing cuisants à l’arrière de sa tête.

Il pivota, mais Tuntun, tournant de concert, se maintint derrière lui en effectuant un authentique roulement de tambour dans son dos. Furieux, Elbryan finit par se jeter de côté, mettant ainsi enfin un peu de distance entre cette adversaire insaisissable et lui.

— Le sang de Mather ! lâcha Tuntun, sarcastique. Il se bat comme n’importe quel balourd d’humain !