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Une curieuse affinité existe, et a toujours existé, entre travail salarié et esclavage. Pas seulement parce que les esclaves des plantations sucrières des Caraïbes fournissaient les sucres rapides qui stimulaient l'énergie de la majorité des premiers travailleurs salariés ; pas seulement parce que la plupart des techniques de management scientifique appliquées dans les usines de la révolution industrielle ont des sources repérables dans ces plantations de sucre ; mais aussi parce que les relations maître-esclave et employeur-employé sont en principe impersonnelles : qu'on ait été vendu ou qu'on se soit loué, dès l'instant où l'argent a changé de mains, 'qui' ont est n'a plus d'importance. Tout ce qui importe, c'est qu'on soit capable de comprendre des ordres et de les exécuter.
Afficher en entierL'histoire montre que le meilleur moyen de justifier des relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, est de les recadrer en termes de dette - cela crée aussitôt l'illusion que c'est la victime qui commet un méfait. Les mafieux le comprennent. Les conquérants aussi. Depuis des millénaires, les violents disent à leurs victimes qu'elles leur doivent quelque chose. Au minimum, elles "leur doivent la vie" (expression fort révélatrice), puisqu'ils ne les ont pas tuées.
Afficher en entierNotre récit habituel de l'histoire monétaire marche à reculons. Il est faux que nous ayons commencé par le troc, puis découvert la monnaie, et enfin développé des systèmes de crédit. L'évolution a eu lieu dans l'autre sens.
Afficher en entierAu pays de Sumer, on appelait ces décrets [d'effacement de toutes les dettes] des "déclarations de liberté", et il est révélateur que le terme sumérien 'amargi', le premier mot signifiant "liberté" dans toutes les langues humaines connues, ait pour sens littéral "retour chez sa mère" - puisque c'est cela que l'on permettait enfin aux péons en les affranchissant.
Afficher en entierOn nous dit constamment que l'État et les marchés sont des contraires, et qu'à eux deux ils représentent les seules vraies possibilités de l'humanité. Mais c'est une fausse dichotomie. L'État a créé le marché. Le marché a besoin de l'État. Aucun des deux ne pourrait se perpétuer sans l'autre, du moins sous des formes qui ressembleraient, même de loin, à celles d'aujourd'hui.
Afficher en entierOn trouvera de semblables rejets du calcul des crédits et des débits dans toute la littérature anthropologique sur les sociétés égalitaires de chasseurs. Loin de se voir comme un humain parce qu'il peut faire des calculs économiques, le chasseur affirme qu'on est véritablement humain quand on refuse de faire ce genre de calcul, de mesurer ou de garder en mémoire qui a donné quoi à qui, justement parce que ces comportements vont inévitablement créer un monde où nous allons entreprendre "de comparer puissance à puissance, de les mesurer et de les calculer", et de nous réduire mutuellement à l'état d'esclaves ou de chiens par la dette.
Afficher en entierIl importe aussi de souligner qu'apparemment les hommes sumériens, du moins à cette très haute époque, ne voyaient aucun problème à ce que leurs soeurs aient des rapports sexuels stipendiés. Bien au contraire, dans la mesure où il y avait prostitution (et n'oublions pas que, dans une économie de crédit, il ne pouvait s'agir d'une relation impersonnelle et froide comme l'argent comptant, loin de là), les textes religieux sumériens la classent au nombre des traits fondamentaux de la civilisation humaine : c'est un don fait par les dieux à l'aube des temps. Le sexe pour procréer était jugé naturel (après tout les animaux le pratiquaient). Le sexe hors procréation, le sexe pour le plaisir, était divin.
Afficher en entier(...) les étranges fantasmes de philosophes libéraux comme Hobbes, Locke et Smith sur les origines de la société humaine, née, selon eux, du rassemblement d'êtres de sexe masculin de trente ou quarante ans qui, après avoir apparemment jailli du sol pleinement formés, ont dû décider s'ils allaient s'entre-tuer ou échanger des peaux de castor.
Afficher en entierLa violence a été évacuée hors de notre vue. Mais c'est surtout parce que nous ne sommes plus capables d'imaginer à quoi ressemblerait un monde fondé sur des dispositions sociales qui n'exigeraient pas la menace permanente des tasers et des caméras de surveillance.
Afficher en entierSi nous sommes devenus une société de la dette, c'est parce que l'héritage de la guerre, de la conquête et de l'esclavage n'a jamais entièrement disparu. Il est toujours là, tapi dans nos conceptions les plus intimes de l'honneur et de la propriété - de la liberté, même. Simplement, nous ne sommes plus capables de le voir.
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