Extraits

Je pense qu'il est judicieux de garder ses distances avec la personne que l'on a pu être par le passé, que l'on trouve sa compagnie attrayante ou non. Sinon elle risque de ressurgir à l'improviste, de venir frapper par surprise à la porte de notre esprit à quatre heures du matin, lors d'une nuit d'insomnie, pour exiger de savoir qui l'a abandonnée, trahie, et qui va devoir faire amende honorable.

- C'est pour quoi ? demande-t-il.

Mais elle est sans voix. Elle était partie du principe qu'il la reconnaîtrait. Elle s'était attendue à quoi, à ce qu'il l'étreigne ? A ce qu'il lui dise quoi ? <Oh, la vache, ton père va être ravi de te rencontrer ! > ?

- Ça va ? s'enquiert-il.

- Ouais, parvient-elle à lui répondre.

Désolée. Salut. Je m'appelle Angie...

Il la dévisage d'un air interrogateur.

- Ta tête me dit quelque chose, mais je

n'arrive pas à te situer. On se connaît ?

- Il se pourrait bien que tu sois, eh bien,

euh... mon oncle.

Dix-sept ans, c'est trop court pour pouvoir appréhender les plans cosmiques de notre univers, de notre planète ou même de notre espèce. Mais c'est l'âge qu'avait le père d'Angie. Elle ignore jusqu'à quand elle vivra, mais pour le moment elle est là, parmi les vivants. En pleine possession de ses moyens. Dans ce monde plein de violence et d'horreurs inconcevables, de cruauté et de bonté, d'émerveillement et d'amour.

- Je t'aime.

Marilyn scrute son visage, mais il a le regard rivé sur la ville, comme s'il s'apprêtait à plonger dans l'océan des dizaines de mètres en contrebas. Mais il a déjà fait le grand saut, non ?

Quand elle dépose doucement la main sur sa joue, il se tourne vers elle. C'est précisément la distance entre eux, songe-t-elle, alors, qui rend leur relation si belle. Le fil ténu et délicat qui les lie l'un à l'autre. Un fil d'or. Il n'y a plus que cela qui compte, à cet instant.

- Moi aussi, je t'aime.

Elle ne sait pas si c'est bien le cas, pas encore. Elle ignore même si elle comprend ce qu'est l'amour, mais peu importe. Elle sait qu'elle peut l'aimer. Elle est certaine à présent qu'elle l'aimera.

Angie contempla le jeune homme noir souriant qui lui rendait son regard, et même si c'était la première fois qu'elle le voyait, elle sut aussitôt que c'était son père. Durant une fraction de seconde, elle se demanda avec qui il était. En y regardant de plus près, elle compris que, évidemment, cette jeune fille était sa mère. Elle semblait vraiment insouciante. Jeune. L'avenir devant elle. Heureuse.

Soudain, Angie sentit son coeur se serrer. elle aurait été prête à tout pour extraire ce garçon de la photo. Faire de lui un homme. Son père. L'obliger à redonner ce sourire-là à sa mère.

Au contraire, elle tenta de s'introduire dans le cliché. D'imaginer ce à quoi quoi cela aurait ressemblé de se trouver là avec ses parents. De deviner la chaleur du soleil sur sa peau et le parfum de l'océan. Quand bien même elle n'était jamais allée à la mer, elle croyait entendre, malgré leurs éclats de rire, le bruit des vagues dans le lointain.