Dragons du bayou, Tome 4 : Le Souffle du feu : Remy

Lorsque j’entendis enfin la clé tourner dans la serrure, je fus envahi par un immense soulagement. Je me précipitai à la porte et l’ouvris avant que Lennox ne retire le trousseau. Je la serrai dans mes bras, puis l’inspectai et la reniflai pour détecter des blessures, tout en laissant le contact de sa peau me rassurer. Elle allait bien.

— Ouah ! Bonjour à toi, dit-elle en riant et me serrant dans ses bras.

Elle remarqua les bougies éteintes, la table dressée, ma cravate et ma veste posées sur le canapé.

— Oh mon Dieu. Je suis vraiment désolée, Remy ! J’étais coincée à l’école. Sarah avait besoin d’aide pour noter des contrôles et je ne pouvais pas refuser. Je suis vraiment désolée, répéta-t-elle en grimaçant avant de poser ses sacs par terre.

Un frisson me traversa. Je la lâchai, fis un pas en arrière et m’appuyai contre le comptoir de la cuisine. Ses paroles m’avaient glacé. Était-ce vraiment la raison pour laquelle elle rentrait si tard, la raison pour laquelle je m’étais tant inquiété ? Elle entra dans la salle à manger et remarqua le bouquet de fleurs.

— Remy... Tu avais tout préparé ?

Je ne répondis pas immédiatement. J’avais besoin d’un moment pour me calmer avant de pouvoir discuter de manière posée. Je ne lui avais pas dit que je prévoyais de la marquer ce soir, mais je l’avais informée sans équivoque que je préparais une soirée spéciale et elle m’avait promis de rentrer tôt.

J’inspirai profondément avant de lui demander de m’expliquer ce que je ne comprenais pas. Je n’étais pas sûr que sa réponse me plaise, mais j’avais besoin de savoir.

— Pourquoi ce soir était-il différent pour toi ?

Elle fronça les sourcils et resserra sa queue de cheval, ce qu’elle faisait lorsqu’elle voulait changer de sujet.

— Comment ça ?

— Lorsque nous étions invités à dîner chez tes parents, tu as foncé ici après les cours, commençai-je en me passant la main dans les cheveux. Quelle était la différence ? Es-tu en train de me dire que Sarah, Mandy, Susie ou qui sais-je d’autre ne t’a pas demandé de l’aide ce soir-là ?

— J’ai dit que j’étais désolée, Remy. Il n’y a aucune différence. Juste... je ne pouvais pas refuser. Elle avait vraiment besoin d’aide.

Elle s’approcha et posa ses mains sur mon torse.

— Je n’ai pas envie de me disputer. C’est une soirée spéciale ce soir, n’est-ce pas ?

— Non, pas ce soir, répondis-je en secouant la tête.

— Comment ?

— Je n’apprécie pas qu’on me considère comme un meuble. Je suis en colère, Lennox. Je t’ai attendue pendant des heures et je me suis inquiété. Je craignais que tu sois blessée quelque part.

— Ce n’est pas ma faute, ça, Remy ! Je t’ai dit d’acheter un téléphone portable. S’il te plaît, je n’ai pas envie de me disputer avec toi. Allons nous coucher, dit-elle en pressant mon torse plus fort.

— Non, Lennox. Je veux savoir pourquoi tu te dépêches de rentrer pour aller dîner chez tes parents alors que tu n’en as pas envie, et pourquoi tu te comportes comme si ce soir n’avait aucune importance.

— Cette soirée est importante. C’est juste... Je ne sais pas, Remy, d’accord ? Je ne sais pas. J’avais juste l’impression que je ne devais vraiment pas me louper une nouvelle fois avec mes parents. Pas après... Tu sais.

— Mais avec moi, c’était acceptable ? Lennox, je passe toutes mes journées et mes soirées ici, à t’attendre. Tu m’as dit vouloir être auprès de moi, pourtant tu ne te dépêches jamais de rentrer me retrouver. Tu me manques. J’ai envie de te voir et de passer du temps avec toi.

— Je te manque ? Remy, je suis ici tous les soirs !

— Et ça te suffit ? Les quelques heures avant que tu ne t’endormes ? Moi pas. Tu es pressée dès le réveil, tu rentres fatiguée et affamée, tu manges, on baise si tu n’es pas trop fatiguée, tu t’endors, puis tu te réveilles et te reprécipites au travail. Ce sont les autres qui profitent du meilleur de Lennox, et j’ai l’impression de ne pas t’avoir vue depuis longtemps.

Elle rougit, et ses yeux s’emplirent de larmes.

— Je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas me disputer avec toi.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je veux juste aller me coucher avec toi, que tu me prennes dans tes bras et que tu me dises que tout ira bien.

— On ne peut pas simplement ignorer ce problème. Nous devons en parler. Me voilà en train de pleurnicher comme un minable, à te supplier de passer un peu plus de temps avec moi. Dois-je vraiment supplier ? Je te demande simplement de m’accorder plus d’importance que le reste des choses dans ta vie. Comme je le fais.

— Je ne peux pas tout abandonner ! J’ai un travail et des amis, Remy ! J’ai une vie. Des responsabilités.

— Sont-elles plus importantes que moi ? Que nous ?

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

— Mais c’est ce que suggèrent tes actions. Tu aurais pu dire à ta collègue que nous avions prévu une soirée spéciale. Tu aurais pu dire à tes parents que je ne suis pas un monstre. Tu aurais pu avoir hâte de rentrer à la maison pour passer la soirée ensemble.

— Je ne peux pas tenir tête à ma mère ! s’écria Lennox, avant de lever les mains en l’air. Très bien. Tu insistes pour qu’on se dispute ? Allons-y. Putain, je suis épuisée. Je travaille soixante heures par semaine et j’essaie de tout gérer. C’est dur pour moi de savoir que tu passes tes journées ici à être misérable. Pourquoi ne pas sortir, faire des choses ? Je ne te manquerais peut-être pas autant.

— Donc, le problème est que tu me manques trop ?

— Peut-être. Peut-être que tu m’en demandes trop.

— C’est vraiment ce que tu ressens ? demandai-je, vexé et surtout blessé.

— C’est peut-être une bonne chose que tu ne m’aies pas encore marquée, répondit-elle lentement en fixant ses pieds. J’ai l’impression que ça ne marchera pas entre nous.

Je ravalai la boule qui s’était formée dans ma gorge avant de demander doucement :

— Tu le penses vraiment ?

Elle hésita, et je pus voir la vérité en elle. Elle aussi était blessée et en colère. Nous avions tous deux besoin d’un peu de temps. Et je devais m’en aller avant de me ridiculiser encore plus.

— Je vais partir.

— Remy, attends...

Il n’hésita qu’un instant avant d’ouvrir la porte.

— Nous avons dit suffisamment de choses sur le coup de la colère pour ce soir.

En état de choc, je restai figée jusqu’à ce que la première larme roule sur ma joue. Qu’avais-je fait ? J’ordonnai à mes pieds de se lancer à sa poursuite, mais j’étais terrifiée. Je lui avais dit des choses que je ne pensais pas, et j’avais eu tort. Je voulais me réconcilier, mais je devais d’abord reconnaître que j’avais été cruelle et injuste avec lui.

Je m’assis à la table de la cuisine et regardai autour de moi. Des bougies partout. Des fleurs, un repas dans le four. De la musique douce me parvenait depuis le salon. Barry White, si je ne me trompais pas. Ce fait en lui-même était impressionnant. Remy n’avait encore jamais réussi à allumer la chaîne. Il avait quelques difficultés à utiliser les appareils électroniques. Je découvris aussi une boîte de fraises enrobées de chocolat en train de fondre. Il s’était décarcassé pour rendre cette soirée mémorable.

Je posai ma tête contre la table de la cuisine et gémis. J’avais vraiment tout gâché. Pas étonnant qu’il soit en colère. Et blessé. Surtout blessé, et avec de bonnes raisons de l’être. J’avais gâché tout ce qu’il avait mis tant de temps et d’efforts à préparer.

Peut-être était-il encore temps de le retenir et d’arranger la situation. Je trouverais les bons mots, et tout irait mieux. Je courus jusqu’à la porte et dévalai les marches menant jusqu’au parking en regardant partout autour de moi.

— Remy !

Jerry, mon voisin du dessous, était installé sur une chaise de jardin devant sa porte.

— Tu cherches le grand bonhomme ? demanda-t-il.

— Oui. Où est-il parti ?

Il tira une longue bouffée de son joint et toussa.

— Cette merde doit être coupée. Je te jure que je l’ai vu se transformer en un gros ptérodactyle rouge et s’envoler. C’est vraiment de la bonne came.

— Merci, Jerry, lui répondis-je, abattue.