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Nous ne vous révélons notre véritable nature que si dans votre folie, vous nous y contraignez. Cela sera bien entendu votre ultime erreur, car contairement à vous, nous disposons de multiples dons. Nous entendons le chant du métal et de la pierre. Nous capturons nos proies entre nos serres. Nous nous changeons en fumée. Certains d'entre nous possèdent même le don de suggestion, celui de vous soumettre à leur volonté.
Afficher en entierIl existe un monde au-delà du vôtre. C’est un royaume sauvage et glacé, figé sous la neige, dont les pics montagneux se drapent de brumes émeraude en été et d’or bleuté à l’automne.
Là-bas, votre douillette existence disparaît, l’illusion se dissipe.
C’est le berceau des comètes ; les étoiles y prennent vie. Les glaciers soufflent leurs vapeurs, les diamants étincellent, l’air vibre de l’imperceptible musique des sphères… et de puissants dragons zèbrent le ciel, soufflant des langues de feu et de lumière.
Ici, toutes les autres créatures se terrent. Vous n’êtes pas les bienvenus, alors n’approchez pas ! Peut-être, en vous voyant, serons-nous assez magnanimes pour vous laisser le temps de faire demi-tour et de vous cacher.
Peut-être pas.
Afficher en entierAvril 1782, quatre ans plus tard
C’était une nuit sans lune ni étoiles. Sous le ciel bas chargé de neige, il ne voyait ni les ornières de la route ni les dangers qui pouvaient se cacher au-dessus de lui – des dangers peut-être mortels.
Par chance, il n’avait pas réellement besoin de ses yeux pour percevoir une éventuelle menace aérienne. Il lui arrivait parfois d’en capter une, du moins en avait-il l’impression, sous la forme d’une vibration dans l’air, très lointaine. Mais la plupart du temps, elle était si faible qu’il se demandait s’il ne l’avait pas imaginée.
Son vrai problème, c’était le froid. De sa vie, jamais il n’avait connu un printemps aussi glacial. Comment diable pouvait-on vivre dans un tel pays ? Chez lui, cette saison était celle des tapis de crocus jaune tendre et des ruisseaux dont les eaux tiédies se libéraient joyeusement des neiges de l’hiver. Elle ne ressemblait en rien à ce qu’il endurait ici. Et que dire de cette froidure implacable qui traversait son manteau pourtant épais ? Il était transi jusqu’aux os…
Afficher en entierAu comte de Chasen, Chasen Manor, Darkfrith, York, Angleterre
Le 3 octobre 1774
Lord Chasen,
Messieurs les membres du Conseil,
C’est également un plaisir pour moi de découvrir l’existence de mes cousins d’Angleterre. Je m’abstiendrai de répéter un terme pénible à vos oreilles, mais sachez qu’ici, dans mon pays, notre véritable nature n’est pas un secret. Elle a fondé l’histoire de notre forteresse ; elle est l’étoffe du folklore local.
J’ai le regret de vous informer que tout voyage est impossible en ce moment. Depuis le décès de mon époux l’an dernier, un vent de contestation souffle sur le château – rien de bien alarmant en vérité ; néanmoins, cela requiert toute mon attention. Un nouveau prince a bien entendu été installé sur le trône : mon jeune frère. Étant cependant mieux armée que lui en matière de gouvernance, je me fais une joie d’assumer ses fonctions en son nom, le temps qu’il soit en âge de les assumer pleinement.
Veuillez, je vous prie, transmettre mes salutations à lady Amalia et à son mari.
Sincèrement vôtre,
Maricara des Zaharen
Afficher en entierÀ l’adresse de la princesse Maricara des Zaharen, château de Zaharen Yce des d… s, montagnes des Carpates, Transylvanie
Le 27 mai 1774
Madame,
Comment exprimer dans une simple lettre la stupeur et le plaisir qui ont été les nôtres en apprenant votre existence ? Votre courrier daté de janvier, accompagné de celui de lady Amalia, est arrivé ce soir même et a causé de vives réjouissances ici, dans notre comté. Nous sommes rassurés de savoir une fille bien-aimée de notre clan saine et sauve, et bientôt de retour au pays. En outre, nous sommes fort aises de découvrir que vous êtes l’une des nôtres.
Vous devez comprendre que, jusqu’à ce jour, nous étions persuadés d’être les derniers de notre espèce (pardonnez notre répugnance à nous nommer aussi facilement que vous l’avez fait vous-même. Ici, en Angleterre, un tel mot est difficile à prononcer). Voilà des générations que nous sommes établis à Darkfrith et que nous avons perdu la trace de nos origines.
Nous osons croire que nous sommes parents avec vous et les vôtres. En vérité, nous avons l’espoir que vous nous ferez l’honneur de nous rendre visite, afin de rencontrer vos lointains cousins. Vous serez la bienvenue. Ou bien, avec votre autorisation, nous pourrions venir à vous. Nous attendons vos instructions et, bien entendu, votre consentement.
Pour le compte du marquis et de la marquise de Langford et des membres du Clan, nous demeurons vos obligés,
Kimber Ellery Darce Langford, comte de Chasen, & les membres du Conseil
Afficher en entierLe 12 janvier 1774
Mère, Père,
Je suis consciente, à l’heure où j’écris cette lettre, quelle vous causera une désagréable surprise. Sans doute me croyez-vous encore à l’Institut Wallence pour jeunes filles d’Édimbourg. Cependant, comme Noël vient de passer, peut-être avez-vous compris que je ne suis pas là où je suis censée me trouver. Mon cœur se brise lorsque je pense aux inquiétudes que j’ai pu vous causer. Je vous prie de m’en excuser. Jamais je n’aurais agi de la sorte si les circonstances n’avaient été aussi délicates. La pierre que vous recherchez est neutralisée.
Je mesure la portée de mes actes. J’ai brisé les lois de la tribu plus que personne auparavant. Sachez que je n’ai rien fait à la légère. Je ne suis plus une enfant mais une femme adulte, et l’une des vôtres en tout point. Permettez-moi de répéter : en tout point. À mon retour à Darkfrith, j’accepterai ma punition. Je m’inclinerai devant votre volonté et celle du Conseil.
Je séjourne dans un château, dans la région montagneuse des Carpates, à l’invitation d’une princesse tout à fait extraordinaire qui a eu la bonté d’accepter de vous transmettre cette lettre. Elle aussi est l’une des nôtres. Vous serez sans doute aussi surpris que moi de l’apprendre : il en existe d’autres comme nous, bien que peu nombreux. Ils vivent ici comme des bohémiens, reclus sous le ciel étoilé, dans des villages isolés ou dans cette forteresse. Les nuits sont si calmes et si claires que l’on peut entendre chaque diamant, chaque cristal, chaque pépite d’or roulant dans les ruisseaux. On peut voler jusqu’à l’infini.
Je suis mariée, à présent. Mon époux est Zane. Pardon.
Avec tout mon amour,
Lia
Afficher en entierPrologue
Il existe un monde au-delà du vôtre. C’est un royaume sauvage et glacé, figé sous la neige, dont les pics montagneux se drapent de brumes émeraude en été et d’or bleuté à l’automne.
Là-bas, votre douillette existence disparaît, l’illusion se dissipe. C’est le berceau des comètes ; les étoiles y prennent vie. Les glaciers soufflent leurs vapeurs, les diamants étincellent, l’air vibre de l’imperceptible musique des sphères… et de puissants dragons zèbrent le ciel, soufflant des langues de feu et de lumière.
Ici, toutes les autres créatures se terrent. Vous n’êtes pas les bienvenus, alors n’approchez pas ! Peut-être, en vous voyant, serons-nous assez magnanimes pour vous laisser le temps de faire demi-tour et de vous cacher.
Peut-être pas.
Le royaume des cieux nous appartient. Ces montagnes sont notre sanctuaire.
Nous sommes les drakons.
Vous nous craignez. Voilà pourquoi vous nous persécutez depuis la nuit des temps, voilà pourquoi vous continuez à nous harceler en cet âge de lumière et de raison. Autrefois, vous lanciez sur nous vos flèches, vos carreaux d’arbalète, et nous nous envolions plus haut dans le ciel. À présent, vous êtes armés de mousquets et de pistolets. Vous rêvez de nous transpercer proprement le cœur de la pointe d’une élégante épée française.
Vous êtes frêles et chétifs, mais au fil des ans, à cause de vous, notre nombre a diminué.
Alors, nous avons appris à vous duper.
Notre beauté est légendaire, mais désormais, nous vous ressemblons. Nous parlons votre langue, portons vos vêtements, buvons votre vin. Nous respirons le même air que vous, éprouvons des sentiments identiques, subissons comme vous les affres de l’amour. Nous nous marions et élevons nos enfants.
Nous saignons. Nous faisons la guerre. Nous ne vous révélons notre véritable nature que si, dans votre folie, vous nous y contraignez. Cela sera bien entendu votre ultime erreur, car contrairement à vous, nous disposons de multiples dons. Nous entendons le chant du métal et de la pierre. Nous capturons nos proies entre nos serres. Nous nous changeons en fumée. Certains d’entre nous possèdent même le don de la suggestion, celui de vous soumettre à leur volonté. Bien que considérablement moins nombreux que vous, nous sommes plus rapides, plus forts et plus rusés. Il nous suffit d’un souffle d’air sous votre porte, à travers une serrure, dans un conduit de cheminée pour forcer votre repaire le mieux gardé. Comprenez-le bien : nous répugnons à combattre les humains. Notre fierté nous commanderait plutôt de vous écraser sans plus de façons, car il n’y a nulle gloire à disposer de la vie d’un être inférieur. D’ordinaire, de telles escarmouches se concluent par une mise à mort rapide et silencieuse.
En revanche, une guerre contre d’autres dragons… voilà qui est digne d’intérêt ! Même les étoiles au ciel en frémissent et versent des larmes.
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