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Les tueurs sont rarement des gens prévoyants. C’est un métier où l’on ne cotise pas pour la retraite. J’en connais peu qui mettent de l’argent sur un livret à la Caisse d’épargne en prévision de leurs vieux jours. J’imagine que notre espérance de vie moyenne ne doit pas aller chercher bien loin, mais on manque de statistiques à ce sujet.
En ce qui me concerne, j’ai pu faire valoir mes droits à la retraite auprès de mon employeur le jour où je suis entré dans son bureau en disant :
– Marconi, je sais vos accointances avec le député Mendilahatxu. Je connais la moitié des commanditaires des crimes dont vous m’avez confié l’exécution.
Il était flanqué d’Antoine, son inusable homme de main, grand, maigre, gris. Taillé dans un bloc de marbre funéraire. Effrayant.
– Jon Ayaramandi, tu sais que j’ai plus de vingt tueurs à mes ordres pour te faire taire à jamais ?
Antoine avait la main posée sur le cœur. Pas loin du flingue. J’ai répondu :
– J’y ai pensé patron. Mais écoutez ce que j’ai à vous dire : j’ai commis trente-deux crimes, dont trente et un pour vous, trente et un crimes parfaits. J’en ai écrit la chronique. J’ai trouvé un éditeur qui a accepté d’attendre ma mort pour la publier, ça s’appellera J’étais l’un des tueurs de Marconi. Il a ça sur un disque dur, aussi inaltérable qu’un cœur de radium.
Marconi m’a adressé un sourire attendri.
– Tu t’es pas foulé pour le titre.
Il m’a semblé qu’Antoine se détendait – autant que faire se peut quand on est taillé dans le marbre. Et même, j’ai cru percevoir un soupir de soulagement. Je suis peut-être candide, mais je me plais à croire que ça lui aurait fait de la peine d’avoir à me transformer en mort. Je leur ai serré la main et j’ai dit :
– Y a plus qu’à prier pour ma longévité.
Depuis, Marconi me tanne pour que je lui envoie un exemplaire du manuscrit.
– Que je sache au moins pour quoi je paye.
Avoir su m’arrêter de travailler est la seule chose intelligente que j’ai faite dans ma vie. Et sans doute aussi la plus originale : c’est ce qui me distingue, non pas du commun des mortels, mais de celui des tueurs.
Depuis, je me suis « installé » à Largos, du côté de la voie ferrée, dans un ancien quartier ouvrier devenu « résidentiel ».
Voici ce qu’on peut dire de mon « pavillon » : discret, un certain charme, de l’ancien – notez que ces trois qualificatifs peuvent aussi bien s’appliquer à ma modeste personne. À quoi j’ajouterais : sobre, confortable et fonctionnel – là s’arrête la comparaison.
Je paye à peine huit cents euros de loyer. À mon âge il était trop tard pour une première accession à la propriété.
J’ai l’Adour et la zone industrielle au bout de ma rue.
La plage et la forêt sont à vingt minutes à pied. La mer fait un tel boucan quand il y a du vent d’ouest qu’on ne s’entend plus ruminer ses mauvaises pensées.
L’air iodé est chargé de relents d’hydrocarbures et de métaux lourds, mêlés aux effluves de pin et de bruyère en provenance de la forêt landaise.
Mon quartier possède son propre centre : la place des Martyrs de la Résistance – un Abribus, une pizzeria, un commerce et un PMU. Tous les quartiers de Largos sont faits sur le même moule : ça ressemble à des « bourgs » (un concept qui évoque tout de suite la grande classe, non ?) et d’ailleurs c’en est un. Les anciens bourgs ont fini par fusionner à force de s’étendre, pour finalement former Largos : dix-sept mille habitants, un seul axe routier et tout un merdier de quartiers, lotissements, forêts, dunes, étangs, supermarchés, magasins de meubles, bars à bières et restaurants chinois. Le tout fondu avec toutes les autres communes alentour.
Bref, du mégalo-rurbain à perte de vue, avec juste une longue plage sur le côté et une vaste étendue d’eau salée, secouée par les vagues. Notre Los Angeles rural à nous.
La moyenne d’âge de la population est la plus élevée du département (des ouvriers à la retraite pour la plupart et une poignée de chômeurs longue durée). L’ensemble manque merveilleusement d’ambition.
Comme on disait autrefois :
Que demande le peuple ?
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