Extraits

Élise ne fut même pas étonnée – elle commençait à bien la connaître. Mieux qu’elle ne comprenait sa propre mère, sûrement, ou sa meilleure amie, Lucie, dont elle n’avait plus de nouvelles depuis des mois. Après tout, c’était cette vieille dame qu’elle voyait le plus depuis que sa vie n’en était plus une.

Manou savait user de sa fragilité et de sa fatigue apparentes pour clore une conversation. Élise n’était pas dupe – elle avait dit ce qu’elle avait à dire. Des mots soigneusement préparés depuis déjà plusieurs semaines, en attendant que soit passée la triste date anniversaire.

Si Manou n’avait pas perdu son mari, elle n’aurait même pas été à Paris le jour où tout avait basculé pour Élise, où Arthur était parti au travail pour ne jamais en revenir. Elle aurait été chez elle, dans cette maison du bord de mer, au soleil, entourée de ses chats, et de tout ce qui comptait pour elle. Et Élise serait restée seule.

C’était la vieille dame qui lui avait avoué ça : c’était la première fois, depuis plusieurs dizaines d’années, qu’elle ne faisait pas cette transhumance annuelle, de mai à octobre, pareille à ces oiseaux qui cherchent le soleil en volant vers le sud. Ses ailes étaient trop endommagées désormais, elle ne s’éloignerait plus de son nid. Elle savait que c’était définitif – Élise l’avait lu dans ses yeux – et qu’elle ne quitterait plus son appartement. Manou ne croyait pas au hasard – qu’elle soit ici, alors qu’elle aurait dû être ailleurs, c’était un signe. Élise était alors entrée dans sa vie pour ne plus en sortir.

En confiant ses clés à Élise, Manou passait le relais. Plus légère, soulagée, comme si la fin de son existence trouvait un sens différent en donnant à sa jeune amie la chance d’un nouveau départ.

Élise se releva en silence. Elle tendit les bras à Ian qui se lova contre elle. Elle s’approcha de Manou et l’embrassa sur le front. La vieille dame lui sourit, les yeux fermés. Élise fourra le trousseau dans la poche de son jean, et laissa la boîte vide sur la table basse. En redescendant chez elle, sa décision était irrévocable. Pas question qu’elle quitte son appartement, c’était le seul endroit où Ian et elle étaient en sécurité.