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N'avez-vous jamais, vous qui me lisez, au moment de pénétrer dans une de ces salles, éprouvé le sentiment que la clarté qui flotte, diffuse, dans la pièce, n'est pas une clarté ordinaire, qu'elle possède une qualité rare, une pesanteur particulière ? N'avez-vous jamais éprouvé cette sorte d'appréhension qui est celle que l'on ressent face l'éternité, comme si de séjourner dans cet espace faisait perdre la notion du temps, comme si les ans coulaient sans qu'on s'en aperçoive, à croire qu'à l'instant de le quitter l'on sera devenu soudain un vieillard chenu ?
Afficher en entierAussi n’est-il pas impossible de prétendre que c’est dans la construction des lieux d’aisance que l’architecteur japonaise atteint aux sommets du raffinement. Nos ancêtres qui poétisaient toute chose, avaient réussi paradoxalement à transmuer en un lieu d’ultime bon goût l’endroit qui, de toute la demeure, devait par destination être le plus sordide, et par une étroite association avec la nature, à l estomper dans un réseau de délicates associations d’images. Comparée à l’attitude des Occidentaux qui, de propos délibéré, décidèrent que le lieu était malpropre et qu’il fallait se garder même d’y faire en public la moindre allusion, infiniment plus sage est la nôtre, car nous avons pénétré là, en vérité, jusqu’à la moelle du raffinement.
Afficher en entierD’aucuns diront que la fallacieuse beauté créée par la pénombre n’est pas la beauté authentique. Toutefois, ainsi que je le disais plus haut, nous autres Orientaux nous créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants.
Afficher en entierLa cuisine japonaise, a-t-on pu dire, n'est pas chose qui se mange, mais chose qui se regarde ; dans un cas comme celui-là, je serais tenté de dire: qui se regarde, et mieux encore, qui se médite !
Afficher en entierEn un mot, l'Occident a suivi sa voie naturelle pour en arriverà son état actuel; quant à nous, mis en présence d'une civilisation plus avancée, nous n'avons pu faire autrement que de l'introduire chez nous, mais, par contrecoup, nous avons été amenés à bifurquer vers une direction autre que celle que nous suivions depuis des millénaires: bien des embarras et bien des déconvenues nous sont, je pense, venus de là.
Afficher en entier...en fait nous oublions ce qui nous est invisible. Nous tenons pour inexistant ce qui ne se voit point.
Afficher en entierCar un laque décoré à la poudre d'or n'est pas fait pour être embrassé d'un seul coup d'oeil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l'un ou l'autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l'ombre, il suscite des résonances inexprimables.
De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l'agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d'air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l'homme à la rêverie. N'étaient les objets de laque dans l'espace ombreux, ce monde de rêve à l'incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d'eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l'un ici, l'autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d'or.
Afficher en entier...on peut trouver de la beauté dans un visage fabriqué de toutes pièces, mais l' on n' éprouvera jamais l' impression d' authenticité que dégage la beauté sans fard.
Afficher en entierCe que l'on appelle le beau n'est d'ordinaire qu'une sublimation des réalités de la vie, et c'est ainsi que mes ancêtres, contraints à demeurer bon gré mal gré dans des chambres obscures, découvrirent un jour le beau au sein de l'ombre, et bientôt ils en vinrent à se servir de l'ombre en vue d'obtenir des effets esthétiques.
Afficher en entierLe papier est, nous dit-on, une invention des Chinois; toujours est-il que nous n'éprouvons, à l'égard du papier d'Occident, d'autre impression que d'avoir affaire à une matière strictement utilitaire, cependant qu'il nous suffit de voir la texture d'un papier de Chine, ou du Japon, pour sentir une sorte de tiédeur qui nous met le coeur à l'aise. A blancheur égale, celle d'un papier d'Occident diffère par nature de celle d'un hôsho ou d'un papier blanc de Chine. Les rayons lumineux semblent rebondir à la surface du papier d'occident, alors que celle du hôsho ou du papier de Chine, pareille à la surface duveteuse de la première neige, les absorbe mollement. De plus, agréables au toucher, nos papiers se plient et se froissent sans bruit. Le contact en est doux et légèrement humide, comme d'une feuille d'arbre.
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