Extraits

On quitta les tunnels pour se retrouver dans une galerie plus large. Au centre se tenait une de ces boîtes en métal géantes, retournée sur le côté. Le son venait de là.

Je grimpai par-dessus les morceaux de métal écrasé et de verre brisé, et me laissai tomber dans le compartiment obscur. Cela sentait le vieux sang et les excréments. Je m'étais entraînée à l'aveugle depuis notre dernière patrouille, et le résultat était déjà payant. Mes yeux s'ajustèrent assez vite au noir.

Je balayai l'intérieur du regard. Des barres verticales, des sièges verrouillées au sol... Pas de monstres à l'horizon. Par contre, terré dans un coin, se trouvait un petit garçon amaigri, allongé sur le côté. Dans sa main, un long bout de métal rouillé. Il tapait le sol avec ce qui semblait être ses dernières forces. Il ne nous avait même pas remarqués. Comment avait-il atterri ici ? Un môme comme lui n'aurait jamais eu le droit de sortir de l'enclave...

Je me mis à genoux à côté de lui. Il réagit immédiatement, et pointa sauvagement son arme dans ma direction.

-On ne va pas te faire de mal, le rassurai-je. On est là pour t'aider.

Il tourna son visage vers moi et, même dans le noir, je distinguai ses yeux blancs. J'en eus la chair de poule. Ce môme était complètement aveugle ! Dans notre enclave, il n'aurait pas tenu deux mois. Les Aînés ne gaspillaient pas de ressources pour des mômes comme lui.

-Tu es humaine, soupira-t-il.

-Oui. Tu n'es pas loin de Collège, notre enclave.

Soulagé, le môme posa son arme.

-Il faut que je parle à tes Aînés, dit-il.

Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Lorsque Pearl répondit, sa voix était devenue froide et dure :

— Je vois. Alors, tu peux partir quand tu le souhaites.

J’entendis des froissements de papiers. Del était en train de ranger les cartes.

— Merci pour ton hospitalité, dit-il.

Je m’empressai de réveiller Tegan. Ses cheveux dévalaient sur son visage. On aurait dit une môme. Elle ne remplacerait jamais Sable et Œillet, mais je sentais que nous deviendrions amies.

— Je pense qu’il est temps de partir, murmurai-je.

— Tu as entendu ce qu’il a dit ? demanda-t-elle, l’œil rieur.

— Oui, répondis-je en souriant.

Del avait le choix entre Pearl et moi… et il m’avait choisie, moi ! Je me sentais à la fois heureuse et ridicule.

_ Tu m'as sauvé la vie, murmura-t-il.

_ C'est mon boulot.

Même dans le noir, je sentis son regard perçant posé sur moi.

_ Soie avait raison. Tu es douée.

_ Merci, balbutiai-je.

Enfin, de la reconnaissance! C'était la plus belle chose qu'il pouvait me dire. Désormais, il ne se moquerait plus de moi. Peut-être que notre duo allait fonctionner, finalement.

L'herbe était couverte de rosée. Tout était vert et luxuriant. Tout était beau ...

C'était peut être le dernier matin de ma vie.

Mais j'avançais. Un pas après l'autre.

[Del] - Et, pour ce qui est de Trèfle, je n'ai peut-être pas été assez clair : je refuse de vivre sans elle !

Le monde entier est comme le rasoir de Chrome ! m'écriai-je. Il nous coupe et nous recoupe, et on saigne sans cesse, sans aucune raison !

Je suis née durant le second holocauste. Avant, l'espérance de vie était plus longue. Enfin c'est ce qu'on nous racontait, mais je n'y croyais pas : dans mon monde, personne n'atteignait les quarante ans.

Dans l'enclave où je vivais, l'homme le plus âgé avait vingt-cinq ans. Il avait le visage flétri, et ses doigts tremblaient au moindre petit effort. Les gens murmuraient qu'on ferait mieux de le tuer. Que cela abrégerait ses souffrances. En fait, ces gens-là refusaient de voir leur propre futur reflété sur sa peau.

Ce jour-là, c'était mon anniversaire. Un an de plus. Comme chaque année, l'événement faisait monter ma peur d'un cran. Et, cette fois-ci, c'était pire encore...

- Prête ? me demanda Twist.

Il m'attendait, debout dans l'obscurité.

Twist était petit et frêle, et la rudesse de la vie lui avait creusé des rigoles sur le visage. Il avait l'air bien plus âgé qu'il ne l'était vraiment et portait déjà ses cicatrices, car il avait deux ans de plus que moi. S'il avait survécu au rituel, j'y survivrai moi aussi.

J'étudiais mes avant-bras pâles, encore intacts. Il était temps pour moi de devenir une femme.

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Mon arrivée attira l'attention du Gardien des mots, et ce dernier me sourit, comme si nous partagions un secret... Il s'adressa au garçon.

- Nous te déclarons coupable de vol et de contre bande, déclara-t-il.

- Qu'as-tu à dire pour ta défense? lui demanda Cuivre.

-Je suis innocent ! Jamais je n'aurais osé !

Non... C'était impossible... Avant même d'aperce voir son visage, je le reconnus à sa voix. Sable. Je me mis sur la pointe des pieds pour vérifier. C'était bien lui. Il avait un môme dans les bras, et il était terrorisé. Le Gardien des mots brandit un livre, un de ceux que j'avais ramenés.

-Soie a trouvé ce livre caché sous ta palette, et quelqu'un t'a vu traîner près des archives. Peux-tu nous donner une explication?

- Ce n'est pas le mien... Je ne sais pas comment il a atterri dans ma chambre, je vous le jure !

Il était en larmes, et le mome qu'il tenait se mit à pleurer à son tour.

Moi, en les observant, je compris tout. Sable était innocent, tout comme Sucre avant lui, et comme des dizaines et des dizaines de personnes accusées à tort pendant toutes ces années. Les Aînés choisissaient des habitants au hasard, cachaient des reliques dans leurs chambres puis les accusaient de vol.

Ils étaient en train d'achever le dernier Monstre. J'admirai la noirceur de Del et l'éclat des cheveux de Bandit. A la fois violents et majestueux, ils se complétaient parfaitement...comme la lune et le ciel noir.

Pour ce qui est de Trèfle, je n'ai pas été assez clair : je refuse de vivre sans elle!