Extraits

Aulay se délecta un instant de ces paroles. Depuis le jour où il avait été défiguré, jamais il n’aurait cru qu’une femme puisse éprouver de tels sentiments à son égard. Mais Jetta était différente. Elle s’imaginait peut-être qu’il l’avait tirée des griffes de la mort, mais c’était elle qui l’avait sorti du puits sans fond dans lequel il avait sombré, lui évitant ainsi une longue vie amère et solitaire passée à se lamenter sur l’état de son visage, en songeant qu’il était trop laid pour être chéri par qui que ce soit hormis les membres de sa famille proche.

— Je te protégerai et t’aimerai jusqu’à mon dernier souffle, Jetta, dit-il en la fixant d’un air solennel. Je te le promets. Et tu sais que je tiens toujours mes promesses.

Aulay ne se sentait pas entièrement satisfait de ces options éventuelles. Si Jetta et lui avaient survécu à l’incendie, Katie quant à elle était encore entre la vie et la mort. Elle méritait qu’on lui rende justice.

— Avec un peu de chance, finit-il par répondre, si le navire est parti d’un des ports de la région ou qu’il a jeté l’ancre dans l’un d’eux après la tempête, Alick et Conran seront peut-être de retour d’ici deux ou trois jours. Sinon, cela leur prendra peut-être une semaine ou plus.

— Étant donné que vous avez trouvé Jetta près du pavillon de chasse, j’imagine que le bateau n’a pas pu naviguer bien loin sans son mât, dit Greer d’un air grave.

— Aye, acquiesça Aulay. À moins que la tempête ne les ait fait dériver un bon moment le long de la côte avant qu’ils puissent faire escale.

— C’est possible, dit Greer en fronçant les sourcils.

— Il nous faut être patients, déclara Dougall[…]

— Tu as essayé de séduire Alick ! gronda Jetta. Mais ce n’est qu’un adolescent !

Connaissant son frère, Aulay s’empressa de lui couvrir la bouche de la main, étouffant le braillement de protestation qui suivit ce commentaire. Alick lui décocha un regard furieux.

— On avait dit aussi silencieux qu’une souris, lui rappela-t-il à voix basse.

Incapable de parler, Alick opina en silence.Après un soupir de soulagement, Aulay reporta son attention sur ce qui se déroulait de l’autre côté du judas.

— C’était probablement mieux ainsi. Je ne pense pas que mon plan aurait fonctionné, de toute manière. Des quelques baisers que j’ai réussi à lui voler, je sais déjà que c’est un mauvais amant. Je n’ai pas ressenti une once de cette passion que j’ai entrevue entre toi et Aulay

Aulay se tourna brusquement vers Alick, mais cette fois Dougall le devança et le fit taire avant qu’il ait eu le temps d’ouvrir les lèvres

Spoiler(cliquez pour révéler)— Tu as embrassé ma femme ? siffla Aulay à voix basse.

Spoiler(cliquez pour révéler)— Il s’agissait de Cha, pas de Jetta, le corrigea Dougall pour le calmer.

Et probablement pas de sa propre volonté. Si tu as bien écouté ce qu’elle a dit, il l’a repoussée.

Aulay poussa un petit grognement indistinct, puis se détourna de ses frères.

J’adore passer du temps en votre compagnie. J’aime jouer aux échecs et au jeu du moulin avec vous. Je meurs d’envie de vous embrasser, de vous toucher et de vous faire l’amour. Je vous veux pour femme, Jetta. Me réveiller chaque jour auprès de vous, vous faire des enfants et les élever, vieillir à vos côtés et mourir dans vos bras serait le paradis sur Terre.

J’ignore si ce que je ressens est de l’amour, mais je pense tout le temps à vous, même lorsque nous sommes séparés. Je n’ai jamais été aussi heureux de toute ma vie.

Découvrir qui était Jetta, c’était prendre le risque de la perdre. À l’inverse, elle pouvait également décider de l’épouser pour sauver sa peau et échapper à ce fiancé qui la terrorisait. Le problème, c’était qu’Aulay ne voulait pas qu’elle le choisisse par défaut. Ce qu’il désirait par-dessus tout, c’était de l’avoir pour femme, sur le papier comme dans le cœur. Mais, après la réaction de la domestique face à sa balafre juste avant, cette possibilité lui semblait de plus en plus improbable. Au cours de ces deux dernières semaines passées auprès de Jetta, il était parvenu à oublier à quel point les gens le prenaient pour un monstre. La réalité lui était revenue en pleine face.

Le silence retomba dans la chambre le temps d’un instant, puis l’oncle Acair reprit la parole :

— Encore une donzelle que l’on tente de tuer, lâcha-t-il d’un air renfrogné.

Aulay acquiesça en haussant les épaules.

— Apparemment.

Cela semblait devenir une habitude dans l’entourage des Buchanan. Les épouses de deux de ses frères avaient été menacées de mort par le passé. L’histoire allait-elle se répéter ? Et si c’était le cas, lequel des hommes de leur fratrie obtiendrait-il la main de la magnifique créature étendue sur le lit ?

Le silence retomba, et Aulay continua de ramer de toutes ses forces en direction de l’objet.

— J’ai l’impression qu’il y a un corps accroché à l’extrémité ! finit par ajouter Alick. On dirait une femme.

— Une femme ? lâcha Aulay sans vraiment y croire.

Il valait mieux que son frère se trompe. Quelle que soit la masse qui se trouvait devant eux, elle était immobile et muette. Trouver un cadavre en putréfaction au beau milieu de l’océan n’allait certainement pas lui remonter le moral.

— Je crois que je vois sa poitrine, expliqua Alick.

— Le contraire m’aurait étonné ! Toi seul es capable de distinguer une paire de seins à plus de trente mètres de distance, rétorqua Aulay d’un ton acerbe.