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Au premier pas que Deborah avait fait dans la salle de bal, Gage avait remarqué sa présence. Dès lors, il n'avait cessé de l'observer du coin de l'oeil tout en continuant les conversations en cours. Cette conscience permanente qu'il gardait de sa présence n'avait rien de confortable. Il l'avait vue sourire à Jerry Bower et avait remarqué que ce dernier ne perdait pas une occasion de lui toucher la main ou le bras, de laisser glisser ses doigts sur une de ses épaules nues.

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Enfin le déclic se fit dans la mémoire de Deborah.

— Ça y est, je me souviens, maintenant. J'ai suivi son histoire dans les journaux, à l'époque. Il est resté dans le coma pendant...

— Presque dix mois. Il était sous assistance respiratoire et ses médecins avaient plus ou moins renoncé à le sortir de là lorsqu'un beau jour, il a miraculeusement rouvert les yeux. Comme tu peux le voir, il a plutôt bien récupéré. Mais il n'était plus question pour lui d'exercer son métier comme avant. Il a décliné l'emploi de bureau que lui proposait la police judiciaire de Denver et s'est employé à faire fructifier un héritage confortable qui lui était échu entre-temps.

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— Je n'en suis pas là, non. Les héros masqués, ça n'a jamais été ma tasse de thé. Même si tout cela part d'une bonne intention, les risques de dérapage sont trop grands. Une démocratie ne saurait admettre que chacun se mette ainsi à faire la justice au gré de son inspiration personnelle. Une telle attitude peut basculer très vite vers les milices, les citoyens armés. Cela dit, j'ai apprécié que notre douteux héros se trouve être dans les parages, l'autre soir. Il se bat peut-être contre des moulins à vent mais il ne m'en a pas moins tirée d'une situation plutôt inconfortable !

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Deborah n'était pas d'humeur à faire la fête. Ni à déambuler une soirée entière vêtue d'une robe rouge décolletée dont les baleines la torturaient. Sans parler de ses escarpins trop serrés aux talons vertigineux ! Mais il fallait se faire une raison... Sans cesser de distribuer poliment des sourires, elle s'imagina chez elle, dans un bain chaud. Elle aurait volontiers barboté une bonne heure avec un roman policier dans une main et une boîte de chocolats dans l'autre pour oublier ses mésaventures dans l'East End, trois jours auparavant.

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Elle ne savait pas si elle donnerait sa voix au maire actuel ou à son jeune opposant, Bill Tarrington. Mais sa décision, elle la prendrait uniquement en fonction des programmes que défendraient les deux candidats. Ni le champagne, ni le foie gras ne l'influenceraient dans un sens ou dans un autre ! Elle avait deux bonnes raisons, cependant, de se trouver à la réception d'Arlo Stuart ce soir : pour commencer, elle avait noué de solides liens d'amitié avec Jerry Bower, le premier adjoint du maire. Et d'autre part, son chef hiérarchique, le procureur de district, avait usé de son influence pour que les portes dorées du Stuart Palace s'ouvrent devant elle.

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Le conseil n'avait pas été prodigué d'un ton très aimable mais elle était trop fatiguée pour s'insurger contre ses manières abruptes. Les jambes comme du coton, elle sortit de l'allée et récupéra sa serviette de cuir au passage. C'était quasiment un miracle qu'elle ne lui ait pas été dérobée.

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Au moment précis où sa main se referma sur le couteau, Deborah revécut dans un flash la scène de l'agression. Un frisson glacé la parcourut. Ce Némésis était peut-être un drôle d'individu, mais il ne venait pas moins de risquer sa vie pour elle...

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Ce fut seulement après avoir ramassé le couteau et rentré la lame que Némésis se tourna vers la jeune femme pour s'assurer qu'elle était indemne. Il nota que les larmes avaient déjà séché sur ses joues et qu'elle se ressaisissait avec une rapidité étonnante. Son souffle était encore un peu précipité mais ni sanglots, ni crises de nerfs, ni évanouissement ne semblaient être à redouter. La jeune imprudente était au demeurant d'une beauté saisissante. Le pâle ivoire de sa peau offrait un contraste surprenant avec l'éclat de nuit des cheveux qui bouclaient autour de son visage. Elle avait des traits délicats, presque fragiles. Mais leur douceur était trompeuse. Car il suffisait de plonger le regard dans ses yeux d'un bleu intense pour y lire une détermination à toute épreuve.

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Elle n'avait pas franchi cinquante mètres cependant que l'homme la rattrapa par le col de sa veste. Il y eut un craquement sinistre lorsque le tissu en lin se déchira. Serrant les dents, Deborah se retourna pour le combattre. Mais son élan fut coupé net par la vue du cran d'arrêt qui venait de surgir entre les mains du toxico.

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La peur, comme toutes les émotions fortes, décuplait les sensations. Deborah percevait avec acuité la chaleur humide des larmes sur ses joues, l'odeur fétide de l'haleine de son assaillant, les puanteurs des détritus qui jonchaient l'impasse. Elle songea au nombre toujours croissant des victimes de la criminalité dans cette ville. Juste au moment où elle se résignait à venir grossir les statistiques, la colère et la révolte prirent le dessus. Allait-elle se laisser faire sans même tenter de se défendre jusqu'au bout ? Dans sa main crispée, elle tenait toujours ses clés de voiture. Avec le pouce, elle fit glisser la pointe entre ses doigts de manière à former une arme de fortune. Puis, elle prit une profonde inspiration, concentra toutes ses forces dans son bras et... son agresseur parut soudain se soulever dans les airs, comme par miracle, moulinant un instant des bras et des jambes, avant d'atterrir à plat ventre dans une grande poubelle.

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