Extraits

Mon premier jour chez Transcriptions Parfaites se révéla morne et brumeux, avec un fond d’air froid annonçant l’hiver. En sortant du métro, le ciel gris était bas sur les tours de bureaux de Kendall Square. Étant en avance, je décidai de m’offrir un latte au Starbucks avant de commencer ma soirée.

Malheureusement, pendant que je terminais mon latte, la bruine était devenue un véritable déluge et le vent s’était levé. Même si je n’avais pas à marcher très longtemps, je finirais facilement trempée dans ces conditions. J’attrapai mon sac et mon parapluie et sortis du Starbucks, déterminée à rester au sec autant que possible.

Plusieurs arrêts de métro et quinze minutes de marche plus tard, je poussai la porte de l’appartement que je partageais avec Duncan. Je retirai mes talons fraîchement repeints et fermai la porte, heureuse d’être chez moi. L’appartement était exigu et plein de courants d’air, mais maintenant j’avais les moyens de le payer. Situé au dernier étage d’un immeuble victorien à la façade bleu vif avec une bordure blanche, il était à proximité de la station de métro de Davis Square.

En plus d’une cuisine, d’un salon et de deux petites chambres, l’appartement comprenait une minuscule pièce non chauffée qui me servait de studio de peinture. Bien que la vieille cuisine n’ait pas de lave-vaisselle et que la salle de bain soit tellement étroite qu’il était pratiquement impossible de s’y retourner, j’adorais les magnifiques planchers en bois foncé, bien que malmenés, et les fenêtres en bois grinçantes qui laissaient entrer la lumière du jour, quelque peu filtrée par les arbres avoisinants. En emménageant, Duncan et moi avions choisi pour l’appartement des couleurs chaleureuses et attrayantes et l’avions meublé d’un mélange d’articles éclectiques trouvés dans des magasins d’occasions et au IKEA, créant ainsi une ambiance agréable et branchée.

Il termina sa conversation avec le garde de sécurité, se retourna et se dirigea vers les portes… et vers moi. Pendant une fraction de seconde, nos yeux se croisèrent et son regard sombre et intense me transperça. Je me sentis rougir et mon imagination s’emballa, me prodiguant des images peu probables, la plupart classées X. Les portes se refermèrent alors sur lui et le moment fut brisé.

Je le regardai se diriger vers une limousine. Cette dernière, de pair avec son air d’autorité inconscient, en faisait probablement un dirigeant d’entreprise de haut niveau. Comme il semblait connaître le garde de sécurité, il avait probablement ses bureaux dans l’immeuble.

Je quittai la ligne rouge du métro à Kendall Square et émergeai sous le soleil chaud et l’air vif d’une parfaite journée d’automne. Près du M.I.T. et du fleuve Charles, le paysage urbain des tours de bureaux modernes abritait des entreprises de biotechnologie et autres. Je traversai plusieurs rues pour atteindre la tour Manning, où se situaient les bureaux de Transcriptions Parfaites.

Aménagée de verre sombre, la tour Manning reflétait les lueurs vives du soleil couchant d’octobre. Je passai les portes tournantes et entrai dans un hall d’acier et de verre sombre uniquement occupé par un bureau de sécurité et des ascenseurs.

Je décidai rapidement quoi porter. Vu ma garde-robe limitée, ce n’était pas très difficile. Je n’avais qu’un seul tailleur noir, une trouvaille de chez Filene’s Basement, que je combinai à un chemisier en soie ivoire et à de fausses perles. Je relevai mes cheveux et optai pour mes lunettes, au lieu de mes verres de contact habituels. Une légère couche de fond de teint et un trait de crayon complétèrent mon style professionnel. J’observai mon reflet dans le miroir et tirai la langue.

Malgré les compliments occasionnels des gens, je ne comprenais pas ce qu’ils voyaient. Mes épais cheveux foncés et ondulés semblaient toujours hors de contrôle, et ma peau, bien que lisse et sans défaut, était toujours trop pâle à mon goût. Mes yeux verts et expressifs, avec leurs longs cils, étaient le seul aspect de mon apparence que j’aimais.

En l’entendant parler de vendre quelque chose qui lui tenait tant à cœur, je fus envahie d’affection. Il était toujours là pour moi. Mais, je ne pouvais pas le laisser faire. Il avait économisé pendant des mois pour acheter son appareil photo. C’était le meilleur qu’il n’ait jamais possédé et la photographie était sa passion.

J’avais emprunté à Duncan, mon meilleur ami et colocataire, ma part du loyer du mois dernier, mais nous nous retrouvions maintenant pratiquement sans le sou. En un clin d’œil, notre propriétaire antipathique nous expulserait de notre petit appartement froid de Somerville et ce serait ma faute. La plupart des nouveaux diplômés pouvaient compter sur leurs parents, mais ce n’était pas une option pour nous : les parents de Duncan étaient décédés et si mes donneurs d’ADN avaient un cent à partager, ce ne serait certainement pas avec moi.

Pendant deux mois stressants, j’avais réussi à survivre sans une seule paye, mais le temps pressait. Même si je soumettais à nouveau mes documents à l’université, il y avait peu d’espoir qu’ils trouvent leur chemin dans leur système de paye labyrinthique avant la date de mon loyer. Mon compte bancaire était vide et ma carte de crédit, inutilisable.

— Non. Il n’y a aucune Juliana West dans le système de paye de l’université. Vous devez remplir un formulaire de retenue à la source et vous assurer que votre département a bien rempli la documentation nécessaire.

Voûtée comme un crapaud derrière son écran miteux, l’employée du bureau de la paye me lança un regard froid avant d’enfoncer quelques touches de ses griffes rouges écaillées. À travers ses verres trop larges, ses yeux exorbités révélaient un degré surprenant de rage. Après tout, j’avais soumis la documentation en question.