Extraits

Qui aurait bien pu vouloir les suivre, et pourquoi ? Mais Paul repensa à la lettre anonyme qu'il avait trouvée dans sa boite aux lettres. Certes, c'était très certainement un canular, des gamins du quartier qui s'amusaient en attendant la rentrée des classes, pourtant Paul n'arrivait pas à chasser de son esprit l'image de ces quelques mots écrits en lettres capitales. Il ne croyait pas aux mauvais présages. Il n'avait pas envie de croire aux mauvais présages.

Il y avait finalement assez peu de différences entre un alcoolique et un adolescent, notamment concernant la qualité de leur mémoire et la fiabilité de leur parole, sans parler des propos incohérents qu'ils marmonnaient régulièrement entre leurs dents mal lavées.

Paul ne savait plus très bien où il en était. Ce qu'il y a de rassurant dans les certitudes, c'est précisément que ce sont des certitudes. Plus besoin de se creuser la tête, d'échafauder les hypothèses les plus improbables. On sait, et ce savoir vaut pour toujours. Mais quand soudain le certain devient impossible, la raison vacille, et c'est comme si l'on tombait dans l'obscurité du néant, sans rien à quoi se raccrocher.

C'était agaçant cette impression d'avoir toujours un train de retard, cette sensation d'être un pion. Le pion de qui, de quoi ? Pas le pion du destin en tout cas. Il ne croyait pas au destin. Il croyait au libre arbitre et à ce qu'on en faisait.

La littérature parlait comme d'un cliché de l'aiguillon de la jalousie. Ce n'était pas un aiguillon, c'était un sabre japonais qui vous ouvrait en deux.

Sans doute, pensa Paul, était-il plus facile de combattre l'ennemi extérieur que celui qui vous ronge à l'intérieur.

Paul observait sa fille. À sept ans, elle avait déjà traversé des épreuves bien trop dures pour son âge. Mais il était content de voir qu'elle vivait cette installation au Canada comme une grande aventure. Cette faculté des enfants à s'adapter à tout, même au pire, et à considérer chaque journée l'une après l'autre... Jules lui, avec ses seize ans, n'avait plus cette insouciance depuis longtemps.