Extraits

- Pour un médecin, perdre un malade doit être quelque chose de très difficile, observa Leona.

- Le plus dur, parfois, c’est d’avoir affaire aux survivants, répliqua Craig.

Il n’imaginait pas à quel point il avait raison.

– Bien sûr, je suis bouleversé, marmonna Craig.

Il leva de nouveau son verre. Sa main tremblait tellement que les glaçons s’entrechoquèrent. Quand il le porta à ses lèvres, il renversa du whisky sur ses doigts.

– Merde, dit-il en posant le verre.

Il secoua la main pour en faire tomber le liquide ambré, puis saisit une serviette en papier et s’essuya le menton et les lèvres.

– Je n’arrive pas à croire que ce timbré de Jordan Stanhope me fait un truc pareil ! Quel salopard ! Surtout après le temps et l’énergie que j’ai gaspillés sur cette espèce de sangsue hypocondriaque qui lui tenait lieu de femme. Je haïssais cette bonne femme !

– Attends un peu ! Tu dis que la femme est nue ?

– Nue comme un ver. Par-dessus le marché, elle n’a pas un poil sur la foufoune. Elle est rasée comme une boule de billard, c’est…

– Lou ! l’interrompit Jack. Ce n’est pas un suicide !

– Pardon ? répliqua son ami d’un ton incrédule. Tu veux me faire croire que tu peux affirmer que c’est un homicide avant même d’avoir vu la scène ?

– Je vais examiner la scène, oui, mais je te dis que ce n’est pas un suicide. A-t-elle laissé un mot ?

– Ouais. Mais c’est écrit en farsi, donc je ne sais pas ce que ça raconte. Le diplomate dit qu’elle y explique son suicide.

– Ce n’est pas un suicide !

L’ascenseur arriva. Jack y entra, mais empêcha les portes de se refermer derrière lui car il ne voulait pas perdre la connexion avec Lou.

– Je te parie même cinq dollars là-dessus, ajouta-t-il. Il n’y a pas une femme qui se suicide à poil. Ça n’arrive tout simplement jamais.

– Tu plaisantes !

– Non, pas du tout. L’idée, en gros, c’est que ce n’est pas de cette façon que les femmes qui se suicident veulent être découvertes. Tu ferais bien d’agir en conséquence et d’appeler les techniciens des scènes de crime. Tu sais aussi que ton diplomate braillard, le mari ou je ne sais quoi, est forcément ton suspect numéro un. Ne le laisse pas disparaître dans les locaux de la mission iranienne, tu risquerais de ne jamais le revoir.

Craig se débattit quelques instants avec les fils de l’ECG et posa rapidement les électrodes avec un peu de gel conducteur.

– Elle va tenir le coup ? demanda Leona à voix basse.

– Je ne sais pas ! Elle est totalement cyanosée, bon sang !

– Ça veut dire quoi, cyanosée ?

– Il n’y a pas assez d’oxygène dans son sang. Je ne sais pas si c’est à cause d’un dysfonctionnement cardiaque ou respiratoire. C’est soit l’un soit l’autre, ou bien les deux à la fois.

Craig s’arrangeait pour le recevoir le moins souvent possible, en général en le confiant à son infirmière ou, plus rarement, en l’aiguillant, s’il réussissait à le convaincre, vers un spécialiste quelconque – de préférence vers un psychiatre. Mais, dans son cabinet actuel, il ne pouvait guère avoir recours à de tels stratagèmes, ce qui signifiait que les « patients à problèmes » étaient le seul point noir de sa nouvelle situation professionnelle. Comme le lui avait expliqué son comptable, alors qu’ils ne représentaient que trois pour cent de sa clientèle, ils accaparaient plus de quinze pour cent de son temps de travail. Patience Stanhope illustrait parfaitement cette tendance. Il l’avait vue au moins une fois par semaine au cours des huit derniers mois, bien souvent le soir ou même la nuit.

Malheureusement c’était bien différent, et il y avait déjà dix bonnes minutes qu’il essayait d’attacher cette saleté. Leona, sa nouvelle secrétaire et documentaliste, une beauté sexy qui partageait sa vie depuis peu, était par chance concentrée sur son maquillage dans la salle de bains. Au pire, il devrait se résigner à lui demander si elle savait faire un nœud papillon. Mais dans la mesure du possible, autant l’éviter. Il n’y avait pas très longtemps qu’ils se fréquentaient en dehors du travail : Craig préférait qu’elle continue de voir en lui l’homme sophistiqué qu’il s’efforçait d’être, sinon… Sinon il craignait d’en entendre parler jusqu’à la fin des temps ! Leona n’avait pas sa langue dans sa poche, comme disaient avec ironie les deux autres employées du cabinet de Craig – son infirmière et son imposante réceptionniste-secrétaire. La diplomatie n’était pas son fort.

— En fait, je suis aussi venu vous poser une question. Serait-il possible que Patience ait reçu une surdose d'un médicament quelconque, ou qu'on lui ait donné un mauvais médicament ?

— Quoi ? répliqua Georgina. À quel médicament pensez-vous ? Elle avait perdu son sourire ; confusion et méfiance se lisaient à présent sur son visage.

— Je ne sais pas. N'importe quoi. Par exemple, n'importe lequel des plus récents agents fibrinolytiques ou antithrombotiques. Franchement, je ne sais pas ! Votre hôpital participe-t-il à une quelconque étude randomisée sur les malades cardiaques ? Je suis simplement curieux. Il n'y a rien de tel sur la feuille de prescription...