Cher Lecteur,
Nous avons détecté que vous utilisez un bloqueur de publicités (AdBlock) pendant votre navigation sur notre site. Bien que nous comprenions les raisons qui peuvent vous pousser à utiliser ces outils, nous tenons à préciser que notre plateforme se finance principalement grâce à des publicités.
Ces publicités, soigneusement sélectionnées, sont principalement axées sur la littérature et l'art. Elles ne sont pas intrusives et peuvent même vous offrir des opportunités intéressantes dans ces domaines. En bloquant ces publicités, vous limitez nos ressources et risquez de manquer des offres pertinentes.
Afin de pouvoir continuer à naviguer et profiter de nos contenus, nous vous demandons de bien vouloir désactiver votre bloqueur de publicités pour notre site. Cela nous permettra de continuer à vous fournir un contenu de qualité et vous de rester connecté aux dernières nouvelles et tendances de la littérature et de l'art.
Pour continuer à accéder à notre contenu, veuillez désactiver votre bloqueur de publicités et cliquer sur le bouton ci-dessous pour recharger la page.
Nous vous remercions pour votre compréhension et votre soutien.
Cordialement,
L'équipe BookNode
P.S : Si vous souhaitez profiter d'une navigation sans publicité, nous vous proposons notre option Premium. Avec cette offre, vous pourrez parcourir notre contenu de manière illimitée, sans aucune publicité. Pour découvrir plus sur notre offre Premium et prendre un abonnement, cliquez ici.
— Tu ne parles pas sérieusement, Susannah ! Tu ne vas tout de même pas acheter un homme !
s'exclama Sarah Jane Redmon en écarquillant ses grands yeux bruns.
Elle venait tout juste de comprendre pourquoi sa soeur aînée arborait cette mine renfrognée. Toute la famille savait depuis longtemps qu'il était impossible de raisonner Susannah quand elle prenait cet air-là.
— Père en fera une attaque, prédit joyeusement
Emily, la plus jeune des quatre soeurs Redmon,
âgée de quinze ans.
Elle épiait Craddock, leur ouvrier à la journée, par-dessus l'épaule de Susannah.
Ce dernier, passablement éméché, était affalé au beau milieu des provisions entassées à l'arrière du chariot. De sa bouche s'échappaient des ronflements aussi forts que gênants dans cette rue inhabituellement bondée de Beaufort. Ses pieds chaussés de bottes crottées dépassaient du véhicule et il tenait entre ses mains une bouteille vide. Un filet debave dégoulinait au coin de ses lèvres, retombant sur le sac de farine qui lui servait d'oreiller.
— Père ne contredit jamais Susannah. D'après lui, elle a toujours raison et tout ce qu'elle fait est bien, alors... fit Amanda, en haussant les
épaules.
A dix-sept ans, c'était la beauté de la famille et elle en était parfaitement consciente.
Susannah essayait de compenser par une éducation stricte la trop grande indulgence de la quasitotalité
de la gent masculine à l'égard des caprices de Mandy, mais elle était la première à admettre que son succès était relatif. Les hommes étaient attirés par le rayonnement de Mandy aussi naturellement que les fleurs se tournent vers le soleil et la jeune fille s'épanouissait sous leurs regards admiratifs.
Mandy, qui adressait un sourire affectueux à
Susannah, secoua ses boucles auburn au passage de trois messieurs élégamment vêtus. L'un d'eux répondit à son oeillade charmeuse en ralentissant son pas et en portant la main à son chapeau pour la saluer. Mais le regard que lui lança mademoiselle
Susannah Redmon lui fit l'effet d'une douche froide et il se hâta de rejoindre ses amis.
En fait, Susannah était à peine consciente de sa présence. Sa réaction était instinctive: elle avait l'habitude d'écarter les soupirants de ses jeunes soeurs. Elle avait pris en charge les petites à la mort de leur mère et, depuis douze ans, veillait sur elles comme un dragon.
— Ce sale bonhomme a tout de même vendu la truie et ses porcelets avant d'aller se saouler !Visiblement, Craddock n'était plus en état de répondre aux reproches de Susannah.
Elle jeta ses paquets au fond du chariot et s'y hissa pour aller fouiller les poches du manteau de l'homme. L'odeur de whisky qui émanait de lui était si forte qu'elle détourna la tête. Enfin, elle trouva ce qu'elle cherchait : un sac de peau de daim rempli de pièces d'argent. Dieu merci, Craddock n'avait pas tout bu ! Elle en vida le contenu dans le réticule qui pendait à son poignet.
— Descends, je t'en prie ! Ce n'est pas convenable.
Que va-t-on penser si on te voit porter la main sur sa... sa personne ? implora Sarah Jane, en regardant nerveusement autour d'elle.
Elle avait peur de rencontrer une connaissance, mais il n'y avait à Beaufort, en ce moment, que des
étrangers attirés par le spectacle qui se tenait sur les quais: on y vendait aux enchères des forçats venus d'Angleterre. Il y avait foule et une étrange excitation s'était emparée de la ville.
— C'est notre argent, idiote, celui de la vente des porcs que nous avons élevés ! Tu préfères peut-être que je le lui laisse pour qu'il le boive ou se le fasse voler ?
Susannah lança un regard exaspéré à sa soeur cadette. Elle aimait tendrement lajeune fille, mais depuis ses fiançailles avec un jeune pasteur, Sarah
Jane affichait un sérieux qui la rendait parfois un peu assommante.
— Cesse donc de jouer les saintes-nitouches ! dit
Emily qui n'était pas aussi tendre avec Sarah Jane que sa soeur aînée. Susannah a raison de vouloir acheter un homme ! Nous avons déjà trop de tra-vail, qu'est-ce que ce sera une fois que tu seras mariée ? Réfléchis un peu !
— Je n'y avais pas songé, avoua Mandy déconcertée.
La troisième des soeurs Redmon avait été tellement gâtée qu'elle en était devenue paresseuse.
Mandy faisait toujours tout son possible pour éviter une tâche déplaisante.
— Mais de là à acheter un être humain ! C'est contre les principes de Père ! répliqua Sarah Jane.
Il a toujours été contre l'esclavage, vous le savez bien !
— Si Père est mécontent, tant pis ! C'est bien joli les grandes idées, mais il faut bien que quelqu'un se charge des corvées. C'est peut-être par charité chrétienne qu'il a embauché cet ivrogne, mais regarde le résultat... Et bien sûr, il ne s'en rend même pas compte !
Susannah leva les yeux au ciel. Son père, le révérend
John Augustus Redmon, pasteur de la première
église baptiste des environs, était un optimiste à tous crins. Il n'avait pas une once de bon sens pour tout ce qui touchait aux nécessités matérielles de l'existence. Le Seigneur pourvoit toujours
à tout, avait-il coutume de dire, même dans les circonstances les plus graves. Il éludait ainsi les problèmes dont il refusait de s'encombrer l'esprit et s'en déchargeait sur Susannah, à qui il adressait en
échange un petit sourire évasif.
— Rentrons à la maison et discutons de tout cela là-bas. Ici nous attirons l'attention, dit Sarah Jane.
Elle avait raison : les passants — pour la plupart masculins — lorgnaient avec curiosité les quatre soeurs. Quels indiscrets, pensa Susannah. Elle n'avait nulle conscience du tableau charmant qu'elles formaient toutes les quatre, en train de discuter en pleine rue, chacune si différente des autres.
Emily se tenait près du trottoir ; ses cheveux roux carotte, retenus par un simple ruban, retombaient en cascade sur ses épaules. Elle était vêtue d'une robejonquille qui mettait en valeur ses formes juvéniles.
Son nez était parsemé de taches de rousseur car, en dépit des réprimandes de Susannah, Em ne voulait jamais s'embarrasser d'un chapeau. Elle
était charmante mais moins jolie que Mandy, qui se tenait juste derrière elle. Toutes deux avaient à peu près la même taille, toutefois, Emily était encore potelée comme une petite fille. Mandy portait une robe verte et une capeline assortie, qui convenaient parfaitement à son teint de porcelaine et à ses boucles auburn. En le regardant bien, on aurait pu trouver son nez un peu trop long et son menton un peu trop pointu, mais à Beaufort, en l'an de grâce 1769, elle était vraiment la plus belle fille du pays. Sarah
Jane, qui se tenait en face d'Emily, avait des traits réguliers et plus ordinaires, comme il convenait à
une future femme de pasteur. Ses grands yeux avaient une expression grave, sa chevelure châtain clair était impeccablement coiffée et sa mise toujours soignée. Elle portait une robe blanche imprimée de fleurs roses, une capeline du même tissu et semblait aussi fraîche et délicieuse qu'une fournée de bon pain.
Entre Sarah Jane et Emily, Susannah attirait aussi peu l'attention qu'un moineau au milieu d'oiseaux tropicaux multicolores. Elle était plus petite que Sarah Jane mais avait une ossature plus solide que celle de ses soeurs. Sa robe, taillée dans un calicot sombre, semblait faite pour dissimuler les courbes de son corps : c'était un vêtement de travail, qui ne tenait aucun compte des exigences de la mode. Elle ne se souciait guère de protéger sa peau du soleil et le chapeau rose pêche qu'elle avait planté sur sa tête n'était là, de toute évidence, que pour l'abriter de la lumière violente du mois de mai.
Ses cheveux, d'une couleur châtaine indécise,
étaient sévèrement ramenés sur sa nuque et noués en un chignon volumineux, qui tombait un peu. Des mèches s'en échappaient, épaisses comme du crin et frisées de surcroît. Lorsqu'elle était enfant, coiffer cette tignasse était un véritable martyre tant elle avait du mal à la démêler. Elle avait pris l'habitude de la mouiller chaque matin, de façon à mater plus facilement ses mèches rebelles et parvenait tant bien que mal à leur donner une apparence correcte.
Ses grands yeux fendus en amande et frangés de cils épais étaient malheureusement d'une couleur noisette banale. Son petit nez effronté, sa grande bouche aux lèvres pulpeuses et sa mâchoire un peu trop large ne faisaient pas d'elle une beauté, elle le savait bien. Susannah avait l'air de ce qu'elle
était : une vieille fille de vingt-six ans, qui n'avait nulle envie et nul espoir d'attirer les hommes. Presque tous les regards glissaient sur elle avec indifférence, pour s'attarder sur ses soeurs.
— Il est inutile de discuter, mais tu as raison :
nous attirons l'attention. Empilez vos colis à
l'arrière du chariot et allons-y.
Afficher en entier