... Et les martiens invitèrent les hommes

Toi, et tes amitiés interplanétaires… Tu ne sais pas ce qui t’attend. Silou ne te laissera pas partir… Il faudra qu’on te laisse ici… »

Tout le monde se tordait de rire… Ce que Thibaut venait de dire, je l’avais pensé en même temps que lui. Exactement avec les mêmes mots… Et je riais autant que les autres, bien entendu.

Je crois que cette soirée a été longue, mais elle m’a paru très courte… Finalement, nous nous sommes endormis dans l’herbe rouge, parmi les Martiens. Comme la veille.

Et j’ai fait un rêve étrange, cette nuit-là…

*

Dans mon rêve, je suis revenu sur la Terre.

Je suis caché derrière l’angle d’un mur, au bout d’un long couloir triste. J’attends que les lampes s’éteignent, et cette attente est interminable. J’entends sonner onze heures. Onze heures et demie… J’ignore où je suis, mais je sais que je suis là pour m’évader. Il faut que je parte cette nuit, ou jamais… Enfin, tout s’éteint autour de moi, et je m’engage dans le couloir. Puis j’entends des pas, et je n’ai que le temps de me cacher. Un homme passe tout près de moi, sans me voir, mais je l’ai reconnu. C’est celui que tous craignent ici, comme je le crains moi-même…

Il faut que je m’évade. J’ouvre une fenêtre et je sors sur le toit… C’est la pleine lune. Tout le monde pourrait me voir, mais personne ne tournera la tête de mon côté. Je marche dans la corniche, sans oser regarder vers le bas. Puis je tire une corde enroulée autour de mes reins, je l’attache à une cheminée, et je commence à descendre… Maintenant, je suis à califourchon sur le mur de clôture. La rue est déserte. Je saute et je suis libre…

Je marche dans une ville que je ne connais pas, dans des rues que je n’ai jamais vues, mais quelque chose me pousse en avant. N’importe où, mais en avant… Puis c’est une route de campagne, dans la nuit. Chaque fois que je vois les phares d’une auto, je me couche dans le fossé qui longe la route. Il ne faut pas qu’on me trouve et qu’on me ramène là-bas…

Pendant toute la nuit, je traverse un pays dont je ne reconnais rien. Je dors dans une forêt pendant le jour. Je me nourris de fruits sauvages, et je bois l’eau des fontaines publiques… Et la même force m’entraîne à fuir, toujours plus loin… Au début de la deuxième nuit, la faim me pousse à sauter une clôture, à voler des pommes dans un verger. On lâche un chien qui me poursuit, et je m’échappe de justesse.

La faim me tenaille de plus en plus. Un peu plus loin, je trouve une ferme. Je réussis à traire une vache et à boire un peu de lait… Mes souliers me font souffrir. J’ai une ampoule au talon droit, elle s’est ouverte et la chair est à vif… J’ai mal à la tête, et mes oreilles bourdonnent. Chaque pas est une torture. Je suis obligé de m’asseoir au bord de la route…

Je comprends que je vais échouer. Dans l’état où est mon pied, avec la faim qui me déchire l’estomac, je ne tiendrai plus longtemps… Je ne sais pas où je suis. J’ai marché au hasard, et je me suis perdu. L’air est plus froid, les étoiles commencent à pâlir, et les ombres deviennent grises. Ce sera bientôt l’aurore…

Je ne veux pas qu’on me reprenne. Je me lève et je regarde autour de moi… Je vois un long mur de pierre, coupé par une grille de fer forgé. Je m’approche. Entre les barreaux, j’aperçois des pelouses et des arbres… Je n’ai pas le choix. J’escalade la grille et, quand je suis en haut, je saute dans le jardin malgré la douleur de mon pied. Je tombe et je me relève. Je fais quelques pas. Il y a une villa devant moi…

C’est la villa du professeur Lorenzo…

*

À ce moment même, je me suis éveillé.