Extraits

Dans la pénombre, car il n’a allumé qu’une petite lampe en rentrant dans le salon, il remarque la pile des livres qu’il tient prêts pour les emmener dans la boîte d’échanges, au centre. Il se saisit alors de sa plume à l’ancienne et la trempe dans l’encre bleue. Il la suspend un instant dans l’air, réfléchissant à ce qu’il va écrire, puis une fois décidé il remplit le petit papier prévu à cet effet :

« Oh toi qui fouilles de misérables boîtes en bois à la recherche de papier jauni, n’oublie pas qu’il n’est rien de plus important que ce qu’on partage avec les autres. Quand ceux qui t’aiment t’offrent leur présence, ne leur déverse pas des banalités mais délivre-toi de ce qui hante ton âme. Si tu as une amie proche, ou une cousine tendre et aimante par exemple, alors dis-lui tout et n’éprouve aucune honte. Elle te comprendra et ne t’en aimera que davantage. Ce courage m’a manqué aujourd’hui et je m’en repens. Tant de mots sont restés bloqués et m’empêchent de respirer profondément… Si toi aussi tu as cette opportunité alors ne passe pas à côté. Ma journée se résume par le mot gâchis, que la tienne soit une ode à la sincérité. Renonce à ta pudeur et livre à cette personne qui te comprendra tous tes secrets, surtout les plus honteux. »

Satisfait de cette prose improvisée, il sourit et replie la note. Mais pris d’une inspiration soudaine, il l’ouvre à nouveau et y ajoute une dernière indication :

« Si tu suis mon conseil, dis-le-moi. Car je m’engage dans ce cas à en faire de même. Ton courage générera une dette que je devrai acquitter. Je livrerai alors moi aussi à ma tendre cousine ce qui tourmente mon esprit. »

Capable pour une fois d’avoir du tact, Tristan évite de lui répéter à quel point leur aïeul a été méprisant avec lui, et comment il l’a humilié. Il aimerait partager avec sa cousine cette haine de leur ancêtre commun, mais doit se résoudre à leur divergence. C’est depuis longtemps le seul point de tension dans leur relation, pour le reste marquée par une immense complicité.

Le souffle coupé, il tente de réfléchir un instant : comment est-il possible que ce soit son agence qui ait récupéré en exclusivité cette vente ? Ce genre de bien est en principe réservé à des intermédiaires spécialisés dans le très haut standing et les clientèles fortunées. Rien à voir avec leur cible habituelle.

Or, le magazine masculin auquel il est abonné est formel : une fois la vingtaine révolue, la génétique se montre sans fard, et aussi sans pitié. Il devient impossible de lutter contre elle. Est-il condamné à être gros avant même d’avoir atteint les 35 ans ?

Quand à rencontrer le grand amour, autant y renoncer pour plusieurs mois. Dans l'intimité, il n'en doute pas, il ferait fuir le moindre inconnu.