Extraits

Chaque personnage recèle en lui toutes les nuances de blanc et de noir, tout un monde ténébreux et surtout la capacité de s'extirper des ténèbres pour se diriger vers la lumière. Je devais m'aventurer dans les zones d'ombre, me plonger dans l'inconnu. Je préférais mourir dans une allée obscure, plutôt que vivre toute une vie d'ignorance dans la lumière.

Son éducation lui avait appris à accorder aux femmes tout ce qu'elles désiraient. « Tu peux toujours lutter, lui disait son père. Tu peux ruer dans les brancards. Si t'es vraiment très con, tu réussiras même à prendre le pouvoir. Mais à long terme, tu t'en mordras les doigts. Crois-moi, fiston, mieux vaut capituler tant que t'es encore jeune. Tu t'épargneras quelques vilaines cicatrices. »

— Si tu n'as pas envie de me revoir, ton cœur le sait déjà. Alors dis-le et je ne t'en tiendrai pas rigueur. Mais si tu en as envie, alors réponds-moi tout simplement oui.

Alors qu'ils s'engageaient dans la circulation, Marcus se remémora un vers du Prophète : « Ce n'est pas un habit que j'ôte aujourd'hui, mais une peau que j'arrache de mes propres mains. » Marcus regarda sa vie s'éloigner et disparaître au loin, A chaque pâté de maisons, il laissait derrière lui un fragment de son être. Le lien qui le rattachait à Isabel se tendit et finit par rompre. Il en ressentit une douleur intense dans la poitrine, mais curieusement réussit à trouver le réconfort dans la pensée que celui qu'elle allait pleurer et finir par haïr, que cet homme à qui elle ne pourrait jamais accorder son pardon n'avait en réalité jamais existé.

En arrivant dans la rue, balayée par un vent glacial, il regretta de ne pas avoir pris son manteau. Il songea à revenir sur ses pas, mais il n'en avait plus le temps. Alors il boutonna sa veste, mit sa sacoche en bandoulière et enfonça ses mains dans ses poches. Il remonta à grands pas la 86e Rue ouest en direction de Broadway. Arrivé au coin de la rue, il s'engouffra dans la station de métro. Malgré l'odeur acre d'urine dans l'escalier carrelé de jaune, il fut content de se retrouver au chaud. Il franchit le portillon à l'aide de sa carte et attendit sur le quai.

Comme il était plus de 9 heures, il n'y avait pas foule. L'heure de pointe était passée. Un jeune cadre se penchait au-dessus des voies, guettant l'approche de la rame et surveillant les aiguilles de sa montre. En dépit de son luxueux pardessus et de ses chaussures de prix, il semblait défait et dépenaillé. Sans savoir pourquoi, Marcus Raine ressentit une bouffée de mépris pour ce retardataire paniqué.

J'ai souri, Après cinq années de mariage, une fausse couche et quelques grandes mises au point qui s'étalent prolongées Jusqu'aux petites heures du jour, après des nuits torrides et des soirées de câlins plan-plan, après les jours avec et les Jours sans, après les chagrins et les déceptions qui Jalonnent inévitablement toute vie de couple qui survit aux premières semaines, après des instants très sombres que j'avais cru fatals, où j'avais pensé que je serais mieux sans lui, et après tous les moments de folle passion où j'avais été sûre d'être incapable de survivre loin de lui, après tout cela, il n'avait plus besoin de me dire qu'il m'aimait, mais j'étais heureuse qu'il l'ait fait.

J'ai léché le beurre sur mes doigts eu disant :

— Tu as une très mauvaise influence sur moi. Il me faudra une bonne heure de cardio pour brûler toutes ces calories.

Il a tourné vers moi ses yeux bleus, l'air contrit.

— Je sais. Je suis désolé.

Puis il a souri. Oh, ce sourire ! Inutile de résister, je devais lui sourire, même si j'étais fâchée contre lui.

— Oui, mais il était délicieux, non ? Tu vas t'en souvenir toute la journée.

Parlait-il du croissant ou de notre câlin de ce matin ?

— Oui, c'est vrai, ai je répondu.

Il m'a embrassée. De son bras puissant enroulé autour de mes reins, il m'a pressée contre lui comme une invitation plus qu'un adieu.

La dernière fois que j'ai vu mon mari une minuscule larme de confiture de framboises se mêlait aux poils blonds de son bouc. Nous venions de boire un cappuccino préparé par le percolateur hors de prix que j'avais acheté sur un coup de tête trois semaines auparavant et de manger des croissants qu'il nous avait rapportés de ses trois kilomètres de jogging quotidien. Il ne voyait là rien d'ironique. Son corps mince et ferme était une mécanique obéissante qui ne prenait jamais un gramme sans son consentement. Tout mon contraire. Il me suffisait de sentir l'odeur d'un gâteau pour qu'aussitôt mes cuisses se mettent à enfler.

Prologue

Une neige légère recouvre peu à peu les toits rouges de Prague. Je lève les yeux vers le ciel hivernal couleur d'acier, tandis que le gris des pavés disparaît déjà sous une fine couverture blanche. Un calme glacial plane sur la petite place. Les boutiques sont fermées, les chaises renversées sur les tables des cafés. Au loin résonnent les cloches d'une église. Un vent violent gémit. Ses bourrasques soulèvent des papiers épars qui passent devant moi en voletant. Dans son silence tourmenté, cette matinée serait presque belle, si je n'avais pas si mal, si je n'avais pas si froid.

La partie de mon corps en contact avec le sol est tout engourdie et mes muscles protestent quand je m'assois péniblement. Je m'agrippe au dossier d'un banc pour me hisser sur mes pieds. Le vent s'engouffre dans mon col et dans les manches de mon manteau. Combien de temps suis-je restée couchée sur le pavé glacé de cette place déserte ? Comment suis-je arrivée ici ? Je me souviens de la question que j'ai posée à une jeune femme au visage tatoué. Je me rappelle ses traits juvéniles et déjà abîmés.

« Kde ? » Où ? lui ai-je demandé.

Elle m'a dévisagée d'un air intrigué. Je me souviens de son regard furtif, de sa façon de danser d'un pied sur l'autre.

« Prosirn. » S'il te plaît. « Kde je Kristof Ragan ? » Où est Kristof Ragan ?