Extraits

Face de Lune n’aime pas rester toute seule le mercredi aprèsmidi.

Le temps semble trop long.

Elle tourne, elle vire, elle regarde sa montre, elle s’inquiète.

Elle se récite les consignes : « faire ses devoirs, ne pas toucher à la cuisine, ne pas rester des heures devant la télévision. »

Parfois, elle reste allongée sans rien faire pendant de longues minutes.

Sans rester des heures devant la télévision, sans toucher à la cuisine, et sans faire ses devoirs…

Elle attend que sa sœur rentre du volley. Face de Lune aime bien sa sœur.

Elle est plus grande, elle est plus « tout ».

Elle est forte à l’école, forte au volley, elle a plein d’amis et il lui arrive encore de rigoler.

Face de Lune n’aime pas les récréations.

Tous ces enfants qui rient, qui sautent dans tous les sens, ça la gêne. Elle voudrait avoir une grande télécommande magique et appuyer sur pause.

Les enfants s’arrêteraient d’un coup, figés dans leurs mouvements comme des statues de plâtre. Ce serait bien, ce serait calme, elle pourrait réfléchir à

son aise, rester dans sa tête.

Ils sont agaçants tous ces enfants à hurler en permanence, à gesticuler sans cesse. Face de Lune ne se sent pas comme eux. Elle a l’impression d’avoir cent ans et de s’être égarée au mauvais endroit.

Elle rêve parfois que quelqu’un l’appelle et lui dise : « Mademoiselle,

Vous vous trompez ! Pour vous c’est par là-bas, de l’autre côté. »

Elle aimerait bien ça, un endroit de l’autre côté, un ailleurs où elle se sentirait bien.

Peut-être qu’il existe cet endroit ?

Mais non… Face de Lune n’est pas naïve, elle sait bien que ça n’existe pas

Face de Lune n’aime pas aller à l’école.

D’abord parce que tout le monde la regarde comme si elle avait un troisième œil, ensuite parce que la maîtresse a toujours l’air d’attendre quelque chose d’elle qu’elle ne comprend pas. Et surtout parce qu’elle ne voit pas bien à quoi ça sert.

« Marion a trois semaines de vacances. La première semaine, elle parcourt avec sa voiture 215 km. La troisième semaine, Marion fait 186 km.

Avant de partir, le compteur de la voiture de Marion indique 32 426 km. À

la fin des vacances, il indique 33 146 km. Calcule combien de kilomètres a faits Marion pendant sa deuxième semaine de vacances. »

Face de Lune ne sait pas. Elle s’en moque comme de sa première chemise. Marion n’a qu’à se tenir tranquille et ne pas se prendre pour un pigeon voyageur !

Face de Lune aimerait avoir le temps de réfléchir à ce genre de problème mais elle a franchement des choses plus graves à gérer dans sa vie.

Alors Marion fait ce qu’elle veut, elle voyage, elle visite, elle fait le tour du monde si elle en a envie. Face de Lune s’en contrefiche.

Déjà, on ne sait même pas où elle va cette Marion. Elle fait des kilomètres pour faire des kilomètres ou elle va visiter quelque chose ? Un musée ? Une ville ?

Parce que si c’est juste pour enquiquiner tout le monde avec ses kilomètres et son compteur, elle n’a qu’à rester chez elle !

L’œil souriant de la lune la regarde par la fenêtre mais Face de Lune n’arrive pas à dormir.

Face de Lune n’aime pas la nuit. C’est trop noir, c’est trop silencieux ou bien on entend des bruits qui craquent.

Papa dit que c’est le parquet, que le bois c’est vivant et qu’il travaille la nuit. C’est censé être rassurant.

Les grandes personnes ont souvent de drôles d’idées pour rassurer les enfants.

Face de Lune n’aime pas la nuit parce que quand l’obscurité surgit, sa gorge se noue. Pas un petit nœud de rien du tout. Plutôt un gros nœud de marin qui sert à amarrer les bateaux. Le genre de nœud coriace qu’on ne peut défaire qu’à plusieurs.

Face de Lune n’aime pas la nuit parce qu’elle ne sait pas vraiment ce qu’il s’y passe.

Peut-être que lorsqu’on ferme les yeux et qu’on s’endort, les objets se déplacent ?

Personne ne le sait puisque tout le monde dort.

Face de Lune entend son papa qui ronfle et sa sœur qui bouge dans son sommeil.

Elle, elle veille. Elle reste aux aguets, les oreilles en alerte, le cœur serré.

Le tic-tac de sa montre la berce et ses paupières s’alourdissent.

Face de Lune va s’endormir.

Elle va s’endormir malgré la peur, malgré la douleur. Elle se réveillera demain, toute étonnée d’avoir survécu à la nuit.