Extraits

— Pourquoi faut qu’on se cache comme des gamins ? ai-je râlé comme un gamin. C’est à eux de partir.

— Oui, je sais. Mais ils ont la gueule de bois et sont fatigués et ce serait méchant de les mettre à la porte.

— Je m'en fous. Chase était sympa, mais moi, non. Du moins, pas avec qui que ce soit faisant obstacle entre moi et l'orgasme que j'avais envie d’avoir depuis que je m’étais barré de chez mes parents.

— Ça nous prendrait une éternité de nous débarrasser d’eux, a-t-il déclaré en entrant dans la salle de bain. (Il a posé les fleurs sur le comptoir et a fermé la porte derrière moi.) Vois ça comme un apéritif pour te montrer à quel point tu m’as manqué et on pourra déguster le plat principal une fois qu’ils seront partis.

— Qu'est-ce qu’on va cuisiner ? m’a interrogé Adan en entrant dans la voiture.

— J'ai imprimé une recette trouvée sur un site de cuisine pour le pain de viande. Je m’étais dit qu’on pourrait faire ça et une salade en sachet. Cela ne peut pas être trop dur, n'est-ce pas ?

Il est sorti du parking et a répondu :

— Du pain de viande, t’as dit ? Charlie ne nous laissera pas ramener des animaux morts à la maison. On se remet à la viande ? J’ai manqué un épisode ? Son utilisation des termes employés par Charlie m’a fait pouffer de rire. Pour ce dernier, c’était ultra-important de cuisiner végétarien, ce qui n'était pas grave parce qu’Adan et moi faisions le plein de viande lors du déjeuner. De plus, c’était Charlie qui cuisinait tous les repas à la maison et il était vraiment doué, donc nous n’avions pas à nous plaindre.

— C'est du pain de viande végétarien, ai-je expliqué.

— De la viande végétarienne ? s’est moqué Adan. C'est un oxymore. Si c'est de la viande, ce n'est pas végétarien et vice versa.

— Est-ce que ça te dérange ? a-t-il murmuré.

J'ai essayé de comprendre sa question, mais j'étais perdu.

— Est-ce que quoi me dérange ?

— Tu es là, en train de me dire que ton petit ami m’aime. (Il a arqué ses sourcils.) Tu ne te rends pas compte à quel point c’est étrange ?

Un sourire s’est dessiné sur mon visage.

— Ouais, ça sort un peu de l’ordinaire. Je te l’accorde.

— Ça sort un peu de l’ordinaire ? a-t-il répété, incrédule.

— OK, un peu beaucoup, ai-je repris en rigolant.

Charlie Rhodes. A l’époque, j’avais été trop jeune pour l’apprécier à sa juste valeur, trop distrait pour m’accrocher à lui mais également trop amoureux pour l’oublier. Notre relation avait été à la fois la meilleure et la pire de toute ma vie. La meilleure, car la plupart du temps, elle était idyllique, heureuse et florissante. La pire, parce que toutes les relations qui avaient suivi m’avaient semblé incomplètes, en comparaison.

Peu importe où je me trouvais, dès que mes yeux se posaient sur cette image, j’entendais la voix de Scott dans ma tête, et parfois, j’avais l’impression de me sentir tomber amoureux à nouveau, comme si c’était la toute première fois.

PROLOGUE

Charlie « Chase » Rhodes

C'est drôle, quand on est gosse, on croit avoir tout compris à la vie. On est certain de savoir ce qu’on deviendra et fera plus tard. Et pourtant, on n’arrive pas à s’imaginer en tant qu’adulte. Je veux dire, les adultes sont des « vieux ». Et ils disent et font constamment des conneries qu’on est sûr de ne jamais dire ou faire.

Quand je pense à toutes les fois où j’ai prononcé ces mots : « je ne ferai/dirai jamais ça », ça me met mal à l’aise. Parce que vous savez quoi ? C’est tout à fait le contraire qui s’est produit.

Ce matin même, quand je m’apprêtais à emmener les enfants à l'école et qu'ils se battaient entre eux pour une spatule - ouais, je sais - je leur ai dit de ne plus s’adresser la parole l’un à l’autre. Si si, je vous assure. Voilà ce que je leur ai crié : « Bobby, Stephi ! Posez immédiatement cette spatule et allez m'attendre dans la voiture. Et je ne veux pas vous entendre vous dire un mot l'un à l'autre ! C’est clair ? » Euh, oui, excellente leçon de vie : n’adresse plus la parole à ton frère/ta sœur.

C'était pas beaucoup plus futé que ma réponse par défaut super utile : « parce que c’est comme ça ». « Pourquoi je dois manger les petits pois ? Je déteste les petits pois. » Et là, je me dis que, moi aussi, je détestais les petits pois quand j'avais ton âge, gamin. D’ailleurs, je ne les aime toujours pas. J’attends juste que tu ailles au lit pour pouvoir manger de la glace directement dans le pot. Mais je réponds : « Parce que c’est comme ça, Bobby. Maintenant, mange tes petits pois. »

Donc, oui, je fais et dis toutes les choses que j’étais persuadé de ne jamais faire et dire. Mais vous savez ce qui est dingue, dans tout ça ? Je suis heureux. Je veux dire que je suis foutrement méga heureux ! Et à mon avis, quand on nage en plein bonheur comme ça, c’est important de documenter sa vie.

Heureusement, l’Association Parents-Professeurs vendait des albums de scrapbooking pour collecter des fonds, l'automne dernier. Parce que, quand j'ai décidé de devenir une ménagère de banlieue, on m'a dit qu'il y avait deux exigences : apprendre à faire du scrapbooking et avoir un vagin. J’étais foutu pour la deuxième, évidemment. Je veux dire, les pulls roses et les jeans taille-basse blancs me vont mieux qu’à certaines femmes-trophées aux nibards siliconés les plus chers du marché, mais... avoir un vagin ? Merci, mais non merci. Je suis plutôt attaché à ma bite. Cela dit, j'ai toujours été créatif. Attendez, j'ai été danseur et chorégraphe pendant des années ! J'étais donc sûr de pouvoir manier les ciseaux et les tampons en forme d’étoile sans problème.

Alors, voilà où j’en suis. On est vendredi matin et il est 8h30, une heure à laquelle, autrefois, j’aurais été en train de faire la grasse mat’ après avoir pris une cuite la veille au soir.