Malgré la nature qui se déchaînait, un homme s’aventurait seul sous le couvert des arbres. Son long manteau rouge contrastait au plus haut point avec la végétation abondante dont même les couleurs verdoyantes paraissaient ternes devant tant d’exubérance. L’homme cachait ses cheveux gris décoiffés sous un grand chapeau qui le protégeait en partie de la pluie. Son visage était craintif et il jetait sans cesse des regards circulaires, comme s’il redoutait l’attaque d’un quelconque prédateur. Eldan n’était toutefois pas le genre d’individu à se laisser impressionner par la nature sauvage du lieu dans lequel il s’aventurait.

Se fier à sa vieillesse apparente était une erreur, car ses ressources étaient beaucoup plus importantes qu’il n’y paraissait. Pour devenir ministre de la magie, il avait dû apporter la preuve que ses pouvoirs dépassaient de loin ceux d’un simple magicien. Ses capacités le rendaient sûr de lui et il avait démontré plus d’une fois que le sang froid dont il faisait preuve n’était pas qu’illusoire. Il fallait davantage qu’une forêt ténébreuse pour l’intimider. Pourtant, il n’arrivait pas à conserver son aplomb habituel.

La lune avait effectué trois fois son cycle depuis que les ministres de la magie, des sciences et de la religion avaient eu connaissance de la prophétie. Celle-ci avait bouleversé leurs vies sans ménagement et ne cesserait de les menacer, tant qu’ils n’auraient pas pris les dispositions appropriées pour éviter le pire. Le sujet était délicat et les trois ministres n’en avaient fait part qu’à leurs conseillers les plus dignes de confiance. Aucune décision n’avait encore été prise, mais le statu quo les entraînait vers une pente glissante. Un secret d’une si grande importance ne pouvait être gardé en otage indéfiniment. Tôt ou tard, la vérité serait dévoilée au grand jour et les trois ministres devaient s’y préparer.

Une chaleur cuisante s’abattait sur la majestueuse cité d’Ascalath.
Bien que le soleil fût couché depuis quelques heures, les rues de la
capitale étaient presque entièrement désertes. Incommodés par la
température suffocante, les citadins limitaient leurs déplacements
autant qu’ils le pouvaient. Certains d’entre eux arpentaient néanmoins
les artères principales de la cité dans le but de se rendre aux bains
publics, où ils pourraient se rafraîchir un moment. La canicule avait
débuté cinq jours auparavant et rien n’indiquait qu’elle était sur le
point de s’estomper. Le climat était devenu le sujet de conversation de prédilection et chacun était à la recherche d’un ingénieux moyen d’y échapper.

Depuis les cinquante dernières années, le développement de la cité
avait connu un essor considérable, ce qui était aussi le cas pour
l’ensemble du continent d’Atlantide. En un temps infiniment restreint,
les Atlantes avaient acquis un savoir qui aurait paru hors de portée à
leurs ancêtres.

La plupart des gens s’accordaient pour dire que tout avait commencé
lors de la révolution, qui avait eu lieu précisément cinquante ans
auparavant. Durant cet épisode sanglant de leur histoire, les habitants d’Atlantide s’étaient rebellés contre la monarchie, qui était depuis longtemps devenue sourde à leurs besoins. Certains radicaux avaient même revendiqué la mort de tous les nobles, mais la majorité de la population avait jugé que ce n’était pas une façon civilisée d’agir. La noblesse déchue s’était donc vue contrainte d’intégrer les rangs du peuple, alors qu’une nouvelle organisation prenait le pouvoir. Quoi qu’il en soit, la chute de la monarchie n’était pas la seule responsable du progrès qui façonnait le continent. D’ailleurs, un grand nombre d’hommes influents disaient que certains changements, apparus bien avant la révolution, avaient marqué un tournant dans la progression de leur civilisation.

Les opinions différaient sur les raisons qui avaient amené les
Atlantes à connaître une telle poussée en avant, mais tous déclaraient que ce n’était que le commencement. Pourtant, en observant la capitale paralysée par la chaleur intense qui y régnait depuis quelques jours, il était difficile de croire que ses habitants étaient d’infatigables innovateurs.

Paisibles, ils profitaient de ce repos forcé pour prendre le temps
de savourer cette nouvelle vie qu’ils s’étaient forgée.

Sous cette apparente quiétude, une sombre réunion était sur le point
d’avoir lieu dans les soubassements de la cité. Deux hommes, dont le
chemin était éclairé par la faible lueur d’une lampe à huile, discutaient
à voix basse en prenant soin de ne pas glisser sur les pierres dont
plusieurs étaient couvertes de mousse.

Anne Bonny appartient à cette lignée de femmes exceptionnelles qui ont marquées l'Histoire et leur temps. Au début du XVIII siecle, de son Irlande natale jusqu'aux rivages torrides de la Jamaïque en passant par les salons de la très coloniale Charles Town, Anne fera parler d'elle au point de devenir un personnage légendaire. Une seule volonté la mène: rester maitresse de son destin. Pour échapper à la tutelle de sa famille, elle devient hors-la-loi et, rompant avec son passé, prend la mer.