feu à volonté

Avril 2008

Au-dessus du Nevada

— Réveillez-vous, les gars, hurla le pilote du B-1B Lancer dans l’interphone. On arrive sur la cible, basse altitude. Je suis prêt à tout casser ! Montrons-leur qui sont les meilleurs. Je vais nous donner quelques secondes de plus pour ce changement de route, Long Dong. 30 nœuds, ça devrait aller. Je veux de la place autour de nous pour pouvoir remuer quand ils nous tomberont dessus. OK, on réduit pour gagner ces quelques secondes.

Il ramena doucement vers lui les manettes des gaz, jusqu’à ce que l’afficheur indique une heure estimée d’arrivée sur l’objectif égale à celle prévue sur le plan de vol.

— Allez, c’est parti, Rodéo ! répondit l’OSO{1}du B-1B.

Ensuite, il ramena les manettes d’un cran encore, pour se donner une marge de 20 à 30 secondes. Un peu de retard lui permettrait de voler plus vite durant la phase de largage des bombes, là où les défenses adverses seraient plus nombreuses. Pendant cette mission, ils s’attendaient à être attaqués par des chasseurs et allaient devoir parcourir le ciel en tous sens pour rester en vie. Tout en réglant sa vitesse, le pilote se pencha en avant dans son siège éjectable et regarda son ailier, un deuxième bombardier B-1B en formation serrée sur sa droite. Le B-1B « Bone » (ceux qui l’appelaient par son nom officiel de « Lancer » étaient peu nombreux) se trouvait rarement engagé seul. Si un seul bombardier supersonique B-1B constituait déjà une arme redoutable, deux représentaient une menace trois fois plus importante. Cette fois, ils auraient besoin de tous leurs atouts pour gagner ce combat.

Bien sûr, il ne s’agissait que d’un exercice. Mais chacun, à bord du B-1B, s’impliquait comme en situation réelle. Ainsi que l’affirmait le vieil adage, « plus tu transpires à l’entraînement, moins tu saignes au combat ». En outre, pour les équipages des bombardiers lourds de l’US Air Force, se faire descendre durant un exercice, surtout par l’Aéronavale, laissait une mauvaise impression.

La base aéronavale de Fallon hébergeait le Navy Strike and Warfare Center, ainsi que « Top Gun », l’école des pilotes de chasse embarqués. Avant tout déploiement, les équipages des bombardiers ou des chasseurs embarqués sur les porte-avions devaient effectuer un stage à Fallon, afin de valider leurs connaissances et leurs capacités dans les combats air-air et air-sol. La zone de tir de Fallon s’étendait sur près de 30 000 km2 dans une région isolée du Nord du Nevada, à l’est de Reno. L’interdiction à tout trafic d’une partie de l’espace aérien autorisait les équipages à larguer leurs bombes, à tirer au canon et à pratiquer leurs manœuvres de combat. De puissantes caméras réparties sur l’ensemble de la zone enregistraient toutes les attaques, et les équipements embarqués à bord des avions envoyaient des télémesures aux stations de contrôle du champ de tir. Lors du débriefing, il était possible d’évaluer les exercices air-air avec une grande précision.

Particulièrement attachée aux confrontations impliquant un maximum d’adversaires, la marine conviait fréquemment l’Air Force à venir « jouer » à Fallon. Pour les équipages de l’US Air Force, il n’existait pas de plus grand frisson que de déborder les défenses de la marine et de bombarder quelques cibles sur leur propre terrain.

Depuis l’arrivée des B-1B à Reno, la compétition était chaude pour la place de meilleur pilote. Ce jour-là, elle risquait même de devenir brûlante. L’unité de B-1 en lice était la 111e escadrille de bombardement « Aces High » des forces aériennes de la garde nationale du Nevada, basée sur l’aéroport international de Reno-Tahoe, à quelques kilomètres à l’ouest de Fallon, sur la route 80. La 111e était l’une des trois escadrilles de la garde nationale à voler sur cette arme mortelle aux lignes souples, le Lancer B-1B, et certains pilotes faisaient de cette confrontation une affaire d’honneur.

— Donne-nous un peu de large, Mad Dog, ordonna le pilote.

— Roger, répondit le copilote.

Sur la fréquence réservée au contrôle et inconnue de la défense, il annonça :

— Champ de tir de Fallon, champ de tir de Fallon, ici Aces Two-One, leader d’un groupe de deux, Austin One Blue en présentation, demande accord pour phase finale.

— Aces Two-One, de Marine Fallon contrôle, répondit une voix, Aces Two-One autorisé pour action réelle dans zones R-4804, R-4812, R-4810, sur les routes Austin One, Gabbs North et Ranch, IFF{2} puissance max.

Altimètre 2-9-9-8. Restez sur cette fréquence et écoutez la fréquence de sauvegarde.

— Two-One OK dans zones 04,12 et 10, Austin One, Gabbs North et Ranch, en approche pour action réelle, IFF puissance max. Reçu, répondit le copilote.

— Deux, lança sobrement le pilote du second B-1.

Moins un équipier parle sur sa radio, mieux cela vaut… Par l’interphone, les copilotes de B-1 annoncèrent :

— Clair pour action réelle, IFF puissance max.

— Alors, c’est parti mon kiki ! cria le pilote.

Aucune réponse ne lui parvint. À son poste, chacun se préparait. Les deux opérateurs, l’OSO et le DSO{3}, étaient assis dans des sièges éjectables, derrière les pilotes, dans un petit compartiment juste au-dessus du panneau de l’échelle d’accès. L’OSO était chargé des armes du bombardier et de la partie attaque du système de combat. Le DSO, quant à lui, annonçait les menaces lorsqu’elles apparaissaient, surveillait le système pour vérifier qu’il réagissait correctement à la détection d’un radar et se tenait paré à reprendre en manuel en cas de dysfonctionnement de l’ordinateur.

Une tonalité lente, presque joyeuse, se fit entendre par l’interphone.