Extraits

Au centre du hall déserté se dressait un immense canapé rouge. Les cinq filles y avaient échoué, comme sur un radeau. Shane, la chanteuse aux longues mèches blondes et brunes, dont le corps de sylphide gainé dans une robe de strass argenté découvrait les jambes maigres, était épuisée, mais encore à l’affût. Ses yeux bruns, ourlés d’un épais trait de cool épiaient les gens de la presse et les curieux attardés.

Meg, la guitariste, une fesse posée sur un des accoudoirs, se roulait une cigarette. A l’autre extrémité du siège, son visage clair enveloppé d’une incroyable crinière rouge, Anastasia, dite Tasia, la bassiste hongroise, consultait ses messages.

Derrière elles, debout dans ses rangers, les bras entièrement tatoués posés sur les hanches, Reggan, la batteuse, patientait. Très brune, tempes rasées, le reste de la chevelure coiffée en tresses rasta, elle affichait, avec son pantalon et son gilet de cuir, un look volontairement agressif et décalé.

Une grande fille blonde au visage ovale, vêtue d’un élégant pantalon de soie noire et d’un chemisier crème échancré dormait paisiblement sur le dos au milieu du canapé.

La scène évoquait un décor de salon, une pochette de CD ou la couverture accrocheuse d’un magazine rock. En l’occurrence, il s’agissait du hall d’un grand hôtel de San Francisco réquisitionné pour une promotion de tournée. La conférence de presse des musiciennes chargées d’assurer la première partie d’un spectacle de haut vol, venait juste de s’achever.

La tension, la fatigue accumulées avaient eu raison de la résistance de la manageuse. Habituée à dormir n’importe où, elle avait sombré rapidement dans un sommeil réparateur, sitôt les échanges terminés.

Déjà les journalistes repartaient pour accueillir les stars, les vraies, celles pour lesquelles les foules allaient se déplacer par milliers à travers les états de l’Union.

Il y eut soudain des cris, des applaudissements, des pas précipités, et une dizaine de personnes fit irruption pour traverser la salle à vive allure.

L’œil acéré de Shane se porta immédiatement sur l’homme de tête. Il était grand, une courte chemise ouverte sur son torse sculpté le dénudait jusqu’au hanches. Les vagues rousses de sa longue chevelure s’épandaient sur ses épaules. Son jean ultra serré savamment effiloché au niveau de l’aine, attirait le regard.

Elle cala son chewing-gum dans sa joue, siffla entre ses dents :

— Putain, c’est Peter Wessley !

Attirés comme par un aimant, les yeux verts du chanteur filèrent droit sur Shane, avec la précision de torpilles téléguidées. Reggan tourna simplement ses yeux froids vers Scott Rodgers, le batteur des Kicks, pour jauger la largeur de ses biceps.

Les autres filles avaient lâché leurs occupations pour dévisager aussi les membres du groupe de rock mythique. Megan et Tasia observaient les guitaristes, notamment le soliste, un homme grand, mince, dont les cheveux noirs, ondulés, à peine moins longs que ceux du chanteur, dissimulaient les yeux sombres et l’air distant. Aussi charismatique, il marchait avec élégance, dans son jean de cuir noir et sa chemise gris brillant.Le bassiste portait un costume mordoré sur une chemise à manches de dentelle, des cheveux retenus par un catogan et de fines lunettes rondes cerclées d’or. D’emblée, il leur adressa un sourire aimable et discret.

— Jimmy Farlane et Ralph Brodwell !

C’était bien eux, identiques aux photos des magazines spécialisés dans le rock et la vie des people. Les filles s’étaient préparées à la perspective de ce face à face, l’attendaient avec ferveur. Mais elles se retrouvaient soudain presque bouche bée, comme des midinettes, devant leurs idoles.

L’envie de leur demander des autographes, de se faire prendre en photo avec eux tenaillaient Megan et Tasia, mais elles parvinrent à se contenir. On verrait plus tard…

Jimmy Farlane quitta sa réserve pour leur adresser un geste amical de la main, et esquisser un sourire. Puis son regard glissa, étonné, sur la silhouette de la fille allongée sur le canapé.

Le groupe s’approcha à la suite de Peter, qui lança avec un large sourire :

— Alors c’est vous les Howlers ? Enchanté de vous rencontrer, vous allez nous assurer une super première partie.

Ses yeux rivés sur Shane lui donnèrent un sentiment d’exclusivité sur ces paroles sympathiques. Subjuguée, elle sauta à son cou sans façon, la poitrine plantée dans le buste velu.

— Je suis Shane Tiller, la chanteuse, on est ravies d’être avec vous.

Meg termina les présentations, et ajouta, en réponse à l’air intrigué de Jimmy Farlane :

— Notre manageuse, Angela Stowe, on a eu une conférence de presse assez musclée.

— Reggan intervint, abrupte :

— Faut dire qu’on est parfois un peu usantes.

Sans répondre, Jim Farlane sortit un carton de sa veste, griffonna un mot, et le glissa dans la poche de la dormeuse.

Un homme d’une quarantaine d’années, vêtu d’un costume blanc très chic, apparut entre les silhouettes élancées de Peter et Jimmy, et s’interposa avec autorité :

— Art Hawkman, le manager, nous aurons tout le temps de parler et de faire plus ample connaissance, mesdames. Nous, on y va les gars, on a un timing.

Il remonta ses lunettes sur son nez proéminent tout en consultant sa montre. Le regard perçant dont il gratifia la dormeuse était sans aménité.

— J’espère que Miss Stowe sera en forme à notre prochaine rencontre, je l’ai connue plus énergique. Apparemment elle n’a pas de demi-mesure. C’est vrai que c’est mignon quand ça dort. Bon, on se voit plus tard.

Shane lâcha le chanteur à regret. Le groupe et sa garde rapprochée s’éclipsèrent aussi vitequ’ils étaient arrivés. Meg en laissa choir son portable.

— Waouh, vous vous rendez compte, c’était les Kicks !

Reggan haussa les épaules :

— Ouais, en même temps on les verra pendant toute la tournée. On pourra assister à leurs shows, et ça c’est trop cool !

Shane approuva, l’air carnassier :

— On les verra de près, de très près même.

Angela Stowe commençait à ouvrir un œil. Meg souleva ses cheveux fins dans tous les sens.

— Hé, tu as raté les Kicks au grand complet, à ta place j’aurais honte.

Tasia renchérit :

— En plus, Jimmy Farlane a mis un papier dans ta poche.

Meg grommela :

— Moi aussi j’ai des poches !

La manageuse déplia ses longues jambes et s’assit sans hâte.

— Bon, si c’est fini ici, on va rentrer à l’hôtel.

— On pourrait assister à leur débriefing avec la presse !

Shane devint songeuse :

— Je me demande où ils sont descendus.

Meg cligna de l’œil à l’attention d’Angela :

— Shane a déjà ferré Peter Wessley, ça va être mouvementé…