Extraits

« — Grognon, j’ai survécu à ton sale caractère, tu crois vraiment que tes jambes vont me faire fuir ? »

On ne le dit pas assez souvent mais, éplucher des pommes de terre, c’est un excellent moyen d’éviter le regard de quelqu’un.

Nuts l’embrassait. Beaucoup. Et souvent. Toute sorte de baisers. Des baisers d’exploration tendres comme ceux du métro. Des baisers profonds et voraces pour le rendre dingue. Des baisers rieurs pour le faire taire avant de le traiter de râleur invétéré. Des baisers « au passage » lorsqu’il quittait le pub après le petit-déjeuner désormais quotidien qu’il y prenait. Plus les baisers de bonne nuit après y être revenu dîner le soir.

Ils arrivaient près de la camionnette. Avec un sourire éblouissant, Nuts déverrouilla le véhicule, ouvrit la portière et souleva de nouveau Buster dans ses bras, sans hésitation et sans s’attirer la moindre protestation.

— Fais attention, je pourrais m’y habituer…, s’amusa celui-ci pour dissimuler son embarras quand l’autre homme le posa sur la banquette.

Les bras puissants s’attardèrent un peu plus que nécessaire et Nuts se pencha pour lui murmurer ses propres mots à l’oreille, son souffle effleurant doucement sa joue au passage.

— Ça me plairait bien…

— Outre ton humour de merde, je dirais que ton vrai problème, c’est cette putain de fierté que tu passes en pommade sur ton ego démesuré, rétorqua tranquillement Nuts. T’as le droit d’être en colère, ou triste, ou tout ce que tu voudras. Ça ne te rendra pas tes jambes, mais tu as le droit… Évite juste de faire payer tes choix aux quelques personnes que tu n’as pas encore foutues dehors.

— Un problème, grognon ? s’enquit-il avec désinvolture.

— Oh, lâche-moi avec ça, maugréa Buster. Il faut que j’aille à Londres et ces abrutis de la compagnie de taxi veulent me faire croire qu’ils n’ont personne !

Trich jeta un regard à Nuts, l’air de dire : « Je vous avais prévenu… »

— C’est si urgent que ça ?

— Et comment je fais la sauce aux airelles sans airelles, hein, gros malin ?

— Effectivement, ça pourrait poser problème, répondit diplomatiquement le géant blond.

Il s’essuya la bouche avec sa serviette en papier avant de consulter sa montre.

— Bon, reprit-il, va chercher ton sac à main. Je t’emmène…

Buster ne releva même pas la pique en regardant son ami se lever et vérifier que ses clés de voiture étaient bien dans sa poche. Le soulagement chassa bien vite la surprise sur ses traits.

— Et ton boulot ? demanda-t-il tout de même.

— Je suis en congé aujourd’hui et je n’avais rien de prévu. En plus, il fait un grand soleil. Idéal pour une balade en amoureux sur les bords de la Tamise…

Buster fronça les sourcils. Il s’apprêtait à lui renvoyer une répartie acerbe, mais un large sourire le désarma aussitôt. Mieux valait soupirer et maugréer encore un peu pour la forme.

— Tu es sûr que ça ne t’embête pas ?

— Et me priver de ta charmante humeur ? Jamais…

Le chef soupira en se tournant vers son serveur et darda sur lui son regard le plus courroucé. Ce gosse ne serait pas le premier à redouter le bleu profond des yeux de Buster. On lui avait assez souvent répété que l’effet de son regard glacé encadré par ses courts cheveux noir corbeau était saisissant. Et pour être saisi, le garçon l’était. Peut-être même un peu trop. Deux secondes de plus sur le grill et il serait à point…

- Je suppose qu’on doit être à court de quelque chose d’aussi capital qu’une sombre épice qu’on ne trouve qu’au Tadjikistan…

Un bruit de vaisselle fracassée leur fit tourner la tête.

- À ce point-là ?

Qui voudrait d’un type comme lui qui n’avait plus rien à offrir, si ce n’était son mal de vivre encore et un bon paquet de rêves brisés ?

- Hé bien ? le pressa Buster en fronçant les sourcils.

La silhouette longiligne du jeune homme se balança d’un pied sur l’autre à plusieurs reprises, témoignant de son inconfort grandissant.

-  C’est-à-dire que… Imaginez le plus grand et le plus large. Bon, hé bien, celui-là l’est encore plus, avoua-t-il, mal à l’aise.