Extraits

Il fut une époque où les hommes pensaient que les femmes avaient besoin de leur protection pour rester respectables aux yeux de leurs pairs. Ils se trompaient. Tous ont ployé devant la Brousse. Les femmes elles, se sont relevées, plus fortes que jamais, protégées par Mamamuso et par elles-mêmes.

En tant que souveraine, Nilaja l'Ivoire débordait d'idées. Ses réformes transformèrent Sangaré en profondeur. Elle remodela le reinaume et décida de privilégier les plus méritants, tout en mettant l'accent sur la culture et le progrès social. On la disait intransigeante, parfois cruelle, mais elle donna la parole aux femmes. Elle les encouragea à se lever à leur tour pour prendre les commandes. Car depuis la trahison de Sogoba chacune d'entre elles était protégée par la grâce de Mamamuso. Aucun homme ne pouvait les contraindre physiquement. Elles étaient libres.

La magie se nourrit de nos échecs. C’est elle qui nous élève quand le monde s’emploie à nous faire tomber.

Ne sous-estimez pas l'imagination des enfants. Peu importe leur origine, les jeux auxquels ils s'adonnent sont une juste représentation du monde aliéné dans lequel nous vivons.

— De même que la lumière devance le soleil, je peux affirmer sans me tromper que tu as toutes tes chances de devenir mon aspirante. Traverse la porte derrière moi, puis cherche une autre porte. Si tu réussis à me retrouver, alors je te ferai marcher à mes côtés.

— Si tu fais tes preuves aujourd’hui, je t’apprendrai peut-être comment te rendre aussi discrète qu’une mouche afin de surprendre les conversations.

Il a prononcé ces mots avec une expression espiègle, et je ne m’aperçois que bien tard de notre proximité.

— Même si je suis une fille ? murmuré-je avant de maudire ma propre audace.

En dépit de tous mes efforts, je suis toujours incapable de tenir ma langue. Cela m’a souvent valu des problèmes avec Mama Zayenda.

Soumaoro esquisse un mouvement de recul à peine perceptible.

— En quoi cela a-t-il de l’importance ? me répond-il prudemment.

Sa question n’en est pas vraiment une. Je le soupçonne de déjà connaître ma réponse.

— J’ignore ce qui se dit ailleurs, mais en terres Cendrées on prétend que Mamamuso a donné aux femmes le pouvoir de commander, tout en récompensant l’obéissance des hommes en cédant à certains d’entre eux une partie de sa magie.

Soumaoro dévoile un peu plus l’éclat nacré de sa dentition parfaite.

— C’est effectivement ce qui se dit. Dans un monde comme le nôtre, on attend des femmes qu’elles dirigent et enfantent. La magie est plus communément un privilège masculin.

Même si je m’y attendais, l’amertume m’envahit. Mon voisin de file m’avait prévenue, j’ai choisi d’entrer dans la hutte en sachant ce que je risquais.

— Cependant…

Je relève brusquement le menton pour observer Soumaoro. Il sourit toujours.

— Cependant, alors que je parcourais le reinaume et jouissais de l’hospitalité des tribus, certaines femmes sont venues à moi. Sais-tu ce que l’on dit de celles qui ont été bénies par la magie de Mamamuso ?

La question me prend au dépourvu. Piquée par la curiosité, je secoue la tête. Soumaoro poursuit :

— Qu’elles sont souvent les porteuses du renouveau et que, plus que quiconque, elles sont amenées à guider le monde. Tu comprendras pourquoi j’ai très envie d’apprendre à te connaître.